Le gouvernement
conservateur promet de mettre la hache dans ses dépenses pour l’an
prochain. 67 ministères et organismes doivent procéder à «un
examen stratégique et fonctionnel» afin de réduire leurs dépenses
de 5 à 10%. Appréhendant le coup de sabre, CBC/Radio-Canada a rendu
public au début du mois une étude bouclier pour faire la preuve de
sa pertinence économique.
Parler
chiffres à un gouvernement obsédé par l’économie
L’étude conclut
que le réseau public offre «un rapport qualité-prix exceptionnel –
une valeur économique qu’on ne peut pas obtenir si notre financement
est utilisé à d’autres fins», a expliqué le président-directeur
général de CBC/Radio-Canada, Hubert Lacroix, en divulguant l’analyse
économique réalisée par la firme Deloitte & Touche.
«CBC/Radio-Canada
exerce un impact sur l’économie, créant une valeur ajoutée à la
fois directement par les fonds qu’elle consacre à son personnel, à
ses fournisseurs et à ses services et, plus généralement, par des
effets additionnels à la fois sur le secteur de la création et sur
l’ensemble de l’économie», indique l’étude. Pour l’année
2010, Deloitte & Touche calcule que les 1,1 milliard de dollars
en fonds publics injectés dans le réseau ont généré des
retombées de 3,7 milliards dans l’économie canadienne.
Selon le
professeur Normand Turgeon de HEC Montréal, vice-président du
conseil d’administration du Centre de recherche sur les médias,
cette étude d’impact économique est «très habile», bien que la
majorité des données qu’elle présente étaient déjà connues.
Face à un gouvernement qui a fait de l’économie sa priorité,
Radio-Canada martèle son message: lui verser des fonds publics ne
créer pas des pertes, mais alimente un large écosystème tout en
valorisant la démocratie.
Normand Turgeon
estime que cette étude est un outil de marketing efficace qui
s’inscrit dans une démarche stratégique en lien avec le 75e
anniversaire du réseau et le processus de renouvellement de ses
licences auprès du CRTC. «L’industrie vit un bouleversement
technologique ayant comme conséquence un bouleversement stratégique
important. On assiste a beaucoup d’acquisitions en vue d’une
intégration verticale des contenus et des services. Radio-Canada
doit se positionner dans ce paysage», explique-t-il.
L’argument
économique est-il le bon?
Principal
concurrent de Radio-Canada au Québec, Quebecor n’a pas manqué de
mettre en doute la validité de l’enquête. Dans un article de
l’agence de presse interne du groupe, QMI, le journaliste Bryn Weese
cite le vice-président principal de la firme First Asset, John
Stephenson, qui estime que les retombées économiques de 3,7
milliards dollars sont «très gonflées». Spécialiste de la
gestion d’actifs, il souligne que l’étude n’évalue pas «ce que le
radiodiffuseur public rapporterait dans un marché libre, ce qui est
la vraie mesure de sa valeur».
Le chroniqueur
Michel Girard de La Presse Affaires note lui aussi cette faiblesse.
«Est-ce que cette subvention d’un milliard versée à
CBC/Radio-Canada rapporterait moins de “retombées économiques”
si elle était répartie entre une CBC/Radio-Canada privatisée, les
diffuseurs privés existants et les maisons de production
indépendantes?», questionne-t-il. Il fait ainsi échos à
l’argumentaire des diffuseurs privés, dont Quebecor, qui jugent que
le réseau public ne devrait pas pouvoir toucher des fonds publics
tout en les concurrençant auprès des annonceurs.
Face à ces
critiques, Normand Turgeon met de l’avant d’autres modèles de
valorisation des réseaux publics. Des modèles basés non pas sur
des données économiques, mais sociétales. «On pourrait établir
des modèles où les réseaux publics, selon leur rôle, permettent
de valoriser la démocratie. Selon ces modèles, les réseaux publics
diminueraient la violence politique et la criminalité. Bref, ils
créeraient de la stabilité sociale ce qui, en fin de compte, est
bénéfique pour l’économie.»
Les pays qui
financent le plus leurs radiodiffuseurs publics (la Norvège, la
Suisse, l’Allemagne, le Danemark et la Finlande, selon Nordicité) sont-ils aussi les
plus stables, les moins violents ? Pour le professeur de marketing de HEC Montréal, il y a là une
opportunité de communication intéressante face à un gouvernement
conservateur fort préoccupé par la gestion de la criminalité.
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