Frédérick Bastien, ProjetJ |

Les changements d’affectation de Pascale
Nadeau et Dominique Poirier ont suscité de nombreuses réactions avant
même d’être annoncées.  Des chroniqueurs ont dénoncé la rétrogradation
anticipée de ces deux journalistes, comme Nathalie Petrowski dans La Presse, Michel Dumais sur Branchez-vous et Michel Vastel sur son blogue,
rappelant les cas de Louise Arcand et Michèle Viroly.  Toutefois, la
critique la plus retentissante est venue de la présidente du Conseil du statut de la femme.


Le rôle des femmes au sein de la profession journalistique alimente les débats depuis longtemps. Dès les années 1970, le CRTC et les organisations médiatiques furent interpellés par des travailleuses de l’information et des groupes féministes qui dénonçaient la discrimination faite à leur endroit. Elles critiquaient le monopole masculin au sein des postes de décision dans les entreprises de presse, la très forte prédominance des hommes parmi les acteurs de l’actualité entendus dans les reportages et l’image stéréotypée de la femme véhiculée dans les nouvelles. Au début des années 1980, le CRTC créa un groupe de travail sur le sujet, mais il n’a jamais adopté de politique précise et contraignante à l’égard des radiodiffuseurs pour les obliger à accroître significativement la présence des femmes sur les ondes. La SRC, elle, a émis en 1991 une directive pour assurer une représentation équitable des hommes et des femmes dans ses émissions, notamment en équilibrant les points de vue sollicités auprès des personnes des deux sexes qui se prononcent sur des sujets d’actualité.

 

La situation des femmes journalistes a considérablement évolué au cours des dernières années. Selon Armande Saint-Jean (« L’apport des femmes au renouvellement des pratiques professionnelles : le cas des journalistes », Recherches féministes, 2000), près du tiers des journalistes au Québec étaient des femmes au milieu des années 1990. L’accession de Sophie Thibault et, dès janvier prochain, de Céline Galipeau à la barre des principaux journaux télévisés présentés en fin de soirée témoignent aussi de cette évolution.

 

Récemment, nous rapportions sur ce site les résultats d’une étude menée par Marie-Ève Carignan à l’Université de Montréal sur des journaux télévisés québécois et français. Au chapitre de la présence des femmes parmi les journalistes à l’antenne, on y signalait une meilleure performance de Radio-Canada par rapport au réseau TVA, où le nombre de journalistes masculins est plus du double de celui des femmes. Au cours de la semaine analysée, la chercheuse a plutôt dénombré 26 hommes et 33 femmes parmi les journalistes de la télé publique (excluant les chefs d’antenne). Ces résultats confirment ceux d’une autre recherche menée par l’auteur de ces lignes (disponible ici) sur un plus grand corpus de bulletins de nouvelles diffusés en 2000. À l’époque, plus de 40% des reportages présentés au Téléjournal étaient faits par des femmes, comparativement à près de 30% au TVA de 22 heures. L’étude de Denis Monière et Julie Fortier (Radioscopie de l’information télévisée au Canada, Presses de l’Université de Montréal, 2000) allait dans le même sens, observant même des pourcentages encore un peu plus élevés de femmes journalistes sur les ondes.

 

Ces données ne suffisent certainement pas à dresser un portrait complet de la situation des femmes dans la profession journalistique au Québec. Elles incitent cependant à tenir des propos plus nuancés que ceux qu’ont eu certains intervenants au cours des derniers jours. Cette controverse nous rappelle aussi que la recherche des faits est un exercice essentiel au journalisme. Il semble que certain soient moins prompts à s’y livrer qu’à simplement donner leurs opinions sur la base d’impressions et de récits anecdotiques.