Un journaliste peut-il écrire sur une personne qu’il poursuit en justice?

En collaboration avec l’Association canadienne des journalistes (CAJ), J-Source entretient une rubrique intitulée Ask a Mentor. Son objectif? Délivrer des conseils aux journalistes et étudiants qui n’ont pas accès à un mentor.

En collaboration avec l’Association canadienne des journalistes (CAJ), J-Source entretient une rubrique intitulée Ask a Mentor. Son objectif? Délivrer des conseils aux journalistes et étudiants qui n’ont pas accès à un mentor. Cette semaine, J-Source s’est demandé si un journaliste qui poursuit une personne en justice peut continuer à écrire sur elle.

Par Shauna Snow-Capparelli, membre du comité national sur l’éthique à l’Association canadienne des journalistes (CAJ) et directrice du programme du baccalauréat en journalisme et communication à l’Université Mount-Royal de Calgary en Alberta. Traduction d’un article paru initialement sur J-Source, le 14 février 2014.

Bien que chaque situation ait ses propres spécifcités – et la journaliste que je suis aimerait d’ailleurs bien connaitre les détails du cas qui nous est présenté – je ne parviens pas à trouver les raisons pour lesquelles il resterait acceptable pour un journaliste d’enquêter et d’écrire sur une personne qu’il poursuivrait en justice.

Je vois très bien les raisons pour lesquelles il ne devrait pas le faire. Mais le faire? Aucun argument irréfutable ne me vient à l’esprit.

Rappelons simplement le principe selon lequel on ne peut pas – ou que l’on ne doit pas pour demeurer plus crédibles – enquêter sur des personnes avec lesquelles nous serions en conflit d’intérêt ou nous aurions des raisons d’avoir un préjugé favorable ou défavorable…

Si un  journaliste intente une action en justice – ou même s’il y pense simplement – cela signifie qu’il croit objectivement ou qu’il souhaite mettre en évidence que la personne ciblée a mal agi. Que ce soit justifié ou non, ce journaliste a donc une rancune. Même si la poursuite se base sur des éléments clairs et incontestables – comme le non paiement d’une somme due contractuellement – les motivations réelles du journaliste pour écrire sur l’affaire qui le concerne pourraient être questionnées.

Voici la question que je me pose: est-ce que le journaliste pourrait bénéficier ou pâtir – ou être perçu comme ayant bénéficié ou pâti – de ce qui serait rapporté dans son histoire? Ceci inclut ce qui pourrait être trouvé – en positif ou négatif – durant la conception du reportage.

Que ferait-il par exemple si:

  • il se rendait compte que les agissements de sa source, et pour lesquels il la poursuit en justice, ne datent pas d’hier et qu’il en a donc bénéficié?
  • il s’avérait qu’elle soit beaucoup plus riche qu’il ne l’avait imaginé?
  • ou qu’elle a été désignée «citoyen de l’année» et reçu des honneurs internationaux pour son honnêteté et son excellente gestion des affaires?

Chacun de ces développements peuvent potentiellement faire basculer l’opinion que les gens se font de la source, modifier l’issue du procès ou les arguments utilisés par le reporter.

Dans la même veine, envisageons que les fautes de cette source soient reconnues et sanctionnées par la justice et que le journaliste trouve satisfaction dans cette condamnation. Ce reporter pourrait-il alors – en partant du principe que tout le processus en amont ait été transparent – faire un reportage sur le sujet?

La réponse se trouve dans les détails. Ainsi,

  • comment être certain que le journaliste ne ressent pas une certaine rancune?
  • est-ce que la source acceptera de parler au journaliste et est-ce que l’intérêt public ne serait-il pas mieux servi si c’était un autre journaliste qui couvrait l’affaire?
  • est-ce que l’audience ferait confiance au journaliste et le croirait capable de faire table rase du passé pour ce concentrer sur le présent?

Daniel Dale du Toronto Star a récemment vécu un tel scénario lorsqu’il a abandonné son procès en diffamation contre le maire Rob Ford après avoir reçu des excuses de sa part. M. Dale planifiait de continuer de couvrir l’actualité à l’hôtel de ville de Toronto et donc les agissements du maire Ford durant le procès, et avant d’abandonner les poursuites, il avait d’ailleurs commencé à le faire. Mais l’ampleur de l’intérêt porté par le public à l’affaire en elle-même et aux relations entretenues par le maire avec les médias était telle que les lecteurs étaient prêts à accepter que le journaliste ne soit pas totalement objectif.

On voit bien que dans ce cas très précis, les détails font toute la différence.

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