Un journaliste au SPVM: «Je me suis senti intimidé et brimé dans mon travail»

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«Pour la première fois hier soir, après plusieurs semaines de couverture des manifestations, j'ai eu le sentiment que le SPVM ne m'a pas laissé faire mon travail de journaliste», a confié à ProjetJ le journaliste Thomas Gerbet de la radio de Radio-Canada, hier. Il venait de passé une bonne partie de la nuit sur le terrain, en compagnie de son collègue Bruno Maltais de Radio-Canada Internet, à suivre les manifestants qui ont battu le pavé de Montréal jusqu'au petit matin.

Voici son récit:

"Aux alentours d’une heure du matin, alors que la foule était dispersée et que les agents procédaient à des arrestations massives, Bruno Maltais et moi-même nous sommes postés à quelques mètres des événements pour prendre des photos. Nous étions à une distance raisonnable, environ une dizaine de mètres. Un policier nous a demandé de nous écarter en pensant certainement que nous étions des manifestants. Nous avons présenté notre carte de presse, mais il a dit que ça n'avait pas d'importance.

Alors que nous ne bougions pas pour finir de prendre des photos, le ton est monté, il nous a crié dessus. Il a avancé sur nous avec sa matraque tenue à deux mains. Nous nous sommes écartés sur le trottoir d'en face, mais ça ne semblait pas être suffisant pour d'autres de ses collègues qui nous ont écartés plus loin en nous poussant avec leur matraque tenue à deux mains devant eux.

Quelques minutes plus tard, j'ai été témoin d'un policier qui a insulté une manifestante de "lesbienne" puis de "pas belle". Je ne sais pas ce qu'il s'était passé auparavant. Je me suis donc arrêté pour observer la scène. Bruno a tenté de filmer. Le policier nous a crié de "dégager". Nous avons alors spécifié que nous étions journalistes.

Il est venu très proche de mon visage et m'a demandé ma carte de presse de manière insistante et intimidante. Il a dit que nous ne sommes pas des journalistes, car nous utilisons des "iPhone" comme les autres manifestants. On a essayé de lui expliquer que ce sont les nouveaux outils de travail, mais il a dit qu'on n’a rien à faire derrière leur dos, qu'on les dérange. Il semblait visiblement à bout et aussi contrarié qu'on ait assisté à la scène de l'insulte. L'agent a répété que, pour lui, nous ne sommes pas des journalistes.

Le ton est un peu monté et j'ai demandé son matricule (qui n'était pas affiché). Il n'a pas voulu le donner et a été voir son responsable avec nos cartes de presse. Ce dernier nous a traités comme des moins que rien en nous faisant la leçon sur ce que l'on doit faire et ne pas faire comme reporter, qu'on est toujours dans leurs pattes, qu'on ne comprend pas leur travail, etc. J'ai de nouveau exigé le matricule du premier agent. Il m'a dit: "tu te comportes comme eux, les manifestants, qui demandent nos matricules".

Je me suis senti intimidé et brimé dans mon travail."

Photo prise par Yannick Gingras pendant la manifestation contre la brutalité policière en mars à Montréal.

La FPJQ proactive auprès du SPVM

Thomas Gerbet a rapporté les faits à ses patrons et à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Il portait sur lui sa carte d'employé du réseau public et sa carte de presse de la fédération au moment des faits. Le président de la FPJQ, Brian Myles, a d'ores et déjà pris l'affaire en main, ajoutant ce témoignage à sa longue liste. «Ça fait plusieurs semaines qu'on est en contact constant avec le SPVM pour essayer de faciliter le travail des détenteurs de notre carte. Le problème c'est qu'avec les manifestations quotidiennes, on a à peine le temps de s'asseoir pour parler et c'est difficile de discuter la tête reposée.»

La FPJQ ne demande pas un traitement préférentiel pour ses membres ou que la carte de presse qu'elle émet devienne obligatoire pour couvrir un événement public. Néanmoins, elle tente d'établir avec les services policiers une procédure allégée de reconnaissance rapide de sa carte pour que ses membres interpellés ne soient pas détenus pendant de longues heures. Ses démarches visent également à conscientiser les policiers aux nouveaux outils de travail des journalistes, les téléphones intelligents en particulier. «Les policiers doivent faire un pas de plus dans leur compréhension de notre travail, savoir qu'on a maintenant les mêmes outils que les citoyens et les militants», souligne Brian Myles.

Des policiers sous pressions

Il admet néanmoins que «c'est difficile pour les policiers de déterminer qui est journaliste. Il y a toute sorte de gens avec des caméras qui filment tout. Certains militants sont même là expressément pour faire la chasse aux abus policiers». La Fraternité des policiers écrit d'ailleurs dans son plus récent bulletin d'information: «Maintenir l’ordre dans un contexte de manifestations infiltrées par des casseurs bien organisés cherchant à saccager et à en découdre avec la police n’est pas une mince affaire. Surtout sous l’œil constant de caméras parfois tenues par des personnes de mauvaise foi cherchant à utiliser des images hors contexte à des fins de propagandes diverses.»

Brian Myles souligne que «les policiers ne cherchent pas le trouble avec les journalistes», mais qu'«on n'est jamais à l'abri de cas isolés qui pètent un plomb sous le coup de la fatigue et du stress». Dans ce contexte, il recommande aux journalistes de garder leur calme en tout temps et de rappeler calmement aux agents qu'ils font leur travail autant qu'eux. Il les intime également à ne pas rester en travers des cordons policiers qui chargent la foule ou des agents à cheval (Guide pour couvir une manifestation violente). Il rappelle également que les droits journalistiques sont assortis à des devoirs que les membres de la FPJQ s'engagent à respecter en adhérant à la fédération.