Titre professionnel: «On ne peut pas renoncer pour de si mauvaises raisons», Dominique Payette

La création d'un titre de journaliste professionnel (JP) est plus que jamais compromise. L'escale montréalaise de la tournée de consultation publique de la ministre Christine St-Pierre sur l'avenir de l'information a montré un milieu journalistique déchiré sur les modalités de gestion de ce statut. Si bien que la FPJQ est désormais prête à rejeter le titre de JP qu'elle appelle pourtant de ces vœux depuis longtemps.

La création d'un titre de journaliste professionnel (JP) est plus que jamais compromise. L'escale montréalaise de la tournée de consultation publique de la ministre Christine St-Pierre sur l'avenir de l'information a montré un milieu journalistique déchiré sur les modalités de gestion de ce statut. Si bien que la FPJQ est désormais prête à rejeter le titre de JP qu'elle appelle pourtant de ces vœux depuis longtemps. Cette situation désole la professeure Dominique Payette qui a recommandé à la ministre la création d'un titre de JP au terme d'un an d'étude et de consultation auprès du milieu. Elle s'est confiée à ProjetJ.

Comment réagissez à la division de la classe journalistique?

Je trouve regrettable que Montréal soit en train, finalement, de convaincre la ministre qu'il y a un désaccord chez les journalistes. Dès l'arrivée à Montréal de la consultation publique, on a tout à coup eu l'impression qu'il y avait mésentente, alors que partout ailleurs au Québec on ne sentait pas du tout cette tension.

Je crois que c'est normal parce que le statut professionnel, tel que je l'ai imaginé dans mon rapport, n'est pas d'abord conçu pour des journalistes de Montréal, des journalistes qui ont des conventions collectives négociées dans les années 70 et 80. C'est évident que pour eux le statut n'est pas un grand avantage, sauf évidement pour les bénéfices ou les outils qui pourront s'ajouter par la suite, par exemple le secret des sources et l'accès à l'information. Mais en dehors de ça, tous ces journalistes, qui ont des conventions collectives en béton armé, ne ressentent pas le besoin d'avoir un statut particulier et c'est normal. Mais c'est tous les autres qui en ont besoin et je suis convaincue qu'il y a encore une très grande majorité de journalistes qui appuient l'idée de créer un statut professionnel.

La ministre a l'impression qu'il y a un clivage générationnel au sein de la profession. Évoqueriez-vous davantage un fossé régional?

Je crois qu'il y a un clivage entre les générations de journalistes qui recoupe aussi le fossé régional. En région, les journalistes généralement sont aussi plus jeunes et ils ont des statuts beaucoup plus précaires. Ils vivent également un isolement qui est assez dramatique. En moyenne, il y a un journaliste et demi par hebdomadaire au Québec, ce qui est très très peu surtout au moment au les hebdos font un virage sur Internet.

Aviez-vous appréhendé le conflit qui émerge à l'heure actuelle sur les modalités de gestion du titre?

Oui, ça me paraissait clair qu'il y aurait des débats sur deux aspects, d'abord sur qui est journaliste et ensuite sur qui va en décider. Mais il me semblait que ces deux débats pouvaient être menés avec une certaine sérénité et qu'on aurait pu surmonter des difficultés de l'ordre du «je veux que ce soit moi, non je veux que ça soit moi». Ça ne me paraissait pas du tout insurmontable. Je ressens donc une certaine déception. Ça me désole de voir qu'on était assez proche d'une solution, du moins d'un premier pas dans la bonne direction, et qu'on est en train de rebrousser chemin à cause d'un écueil.

Si vous deviez trancher, qui gèrerait le titre et pourquoi?

Ce n'est pas à moi de le faire, c'est aux journalistes de s'entendre. Mais, ce que j'ai compris de la position du ministère c'est qu'il faut qu'il y ait une structure redevable dans la mesure où il y a des intérêts financiers et juridiques en jeu. Donc, je pense qu'une organisation ayant un statut juridique est nécessaire. Maintenant, comment la constituer? Il me semble que ce n'est pas sorcier. Je ne vois pas là d'obstacle aussi infranchissable que certains ont l'air de le construire. Je me dis que, foncièrement, tout le monde poursuit le même objectif. Tant le Conseil de presse, que la FPJQ, que l'AJIQ ou la FNC, tous ces groupes représentent les mêmes personnes, les mêmes intérêts et devraient poursuivre les mêmes objectifs. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi on n'arriverait pas à une position mitoyenne.

Ils ont tous présenté leur réflexion en mettant l'accent sur ce qui les distingue les uns des autres et non sur ce qui les rassemble. Je pense que notre mode de travail universitaire avait été intéressant parce qu'on avait justement forcé les 200 personnes qui se sont assises avec nous à identifier ce qu'elles avaient en commun. La façon de procéder de la ministre, qui est obligatoire, elle ne pouvait pas faire autrement que de passer par une consultation, met en évidence les différences.

Comment réagissez-vous à l'opposition des patrons de presse au titre de JP et à leurs critiques à l'égard de votre rapport?

Je ne suis pas étonnée. Je ne suis pas sûre que, dans le contexte actuel de négociation, ils aient vraiment intérêt à ce que les journalistes deviennent plus autonomes, en tout cas à court terme. Ils ont tort parce que des journalistes plus autonomes sont des journalistes plus crédibles, donc des entreprises de presse plus crédibles. Les patrons regardent les choses à très court terme. À mon avis, la ministre n'est pas très étonnée non plus. Cependant, je pense qu'elle avait la conviction qu'elle se sentirait assez forte devant les entreprises, grâce à un front commun des journalistes.

Quand certains disent que notre rapport est passé à côté de la réalité, je ne suis pas d'accord. Nous avons justement beaucoup travaillé sur le modèle d'affaire en tenant compte du virage Internet. Cependant, il y a dans notre rapport des éléments que la ministre n'a pas retenus, notamment des incitatifs financiers à faire partie du Conseil de presse ou le soutien à l'embauche de journalistes en région et dans les médias indépendants. C'était des éléments qui faisaient partie du tout et qu'on ne retrouve pas pour le moment dans les propositions retenues par la ministre. Alors, bien sûr, à court terme les entreprises ne voient pas leur intérêt. C'est de bonne guerre.

Avez-vous peur de la tablette? Pensez-vous que vous avez travaillé pour rien?

Non, je n'ai pas encore ce sentiment-là. J'ai encore l'impression que le bon sens peut encore triompher. Le rapport que nous avons présenté fait état d'une période charnière pour le journalisme québécois et, quoiqu'il arrive, le fait de l'avoir documenté est très important. Cependant, j'aimerais bien qu'il en reste quelque chose de concret pour les journalistes et je trouverais ça vraiment dommage que la ministre renonce parce qu'elle n'a pas l'impression qu'il y a en face d'elle un groupe uni. Je continue d'espérer que certaines personnes vont réagir un peu comme moi en se disant que ça n'a pas de sens, qu'on ne peut pas passer si proche et renoncer pour de si mauvaises raisons.

À mon avis, il y a encore une très grande majorité de journalistes qui appuient l'idée de créer un titre professionnel, comme en faisait état la consultation de la FPJQ il n'y a pas si longtemps. D'ailleurs, je suis étonnée que la FPJQ ne laisse aucun espace à ce débat dans son congrès. Vous savez, c'est un milieu où on ne s'exprime pas fort. Je n'ose pas dire qu'il y a une omerta, mais quand je pense qu'on a été obligé de promettre l'anonymat à des journalistes pour qu'ils nous parlent de leurs pratiques professionnelles, je ne suis pas loin de le croire. Sachant que c'est un métier qui incite les autres à prendre la parole, je trouve ça surprenant et paradoxal qu'on hésite tellement à s'exprimer publiquement sur un sujet qui nous concerne. C'est inquiétant.

 

Voir aussi:

Titre professionnel: le milieu journalistique divisé

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