Par Belinda Alzner – originellement paru sur J-Source – traduit par Anne Caroline Desplanques
Par Belinda Alzner – originellement paru sur J-Source – traduit par Anne Caroline Desplanques
Jan Wong était journaliste de premier plan et chroniqueuse pour le Globe and Mail lorsque "L'affaire Wong" a explosé en 2006. Plus tôt ce mois-ci, elle a publié "Out of the Blue", un livre qui documente les conséquences de sa chronique controversée sur la fusillade du Collège Dawson. Interrogée par Belinda Alzner de J-Source (vis-à-vis anglophone de ProjetJ), elle raconte comment ce texte a bouleversé sa carrière et sa vie.
Commençons par le début. J'ai d'abord posé ma première question: «Quand vous avez écrit ce texte, aviez-vous une idée de la tempête qu'il déclencherait?»
«Non» m'a répondu la dame à la voix douce à l'autre bout de la ligne. J'ai fait une pause, laissant le silence se prolonger, sachant qu’il y avait sûrement plus à dire. Après tout, Jan Wong n'a jamais été connue comme étant une femme de peu de mots.
Depuis près de 20 ans, elle était journaliste et chroniqueuse pour le Globe and Mail. Connue pour ses écrits sur la Chine et plus tard pour son acerbe «Lunch With Jane Wong», elle n'a aucun scrupule à rendre mal à l'aise les personnes qu'elle interview. Elle enseigne aujourd'hui ses techniques d'«entretien contradictoire» aux étudiants de l'Université St-Thomas à Fredericton.
Elle et moi avons discuté du scandale déclenché par sa fameuse chronique «Get under the desk». Ce texte de 3000 mots lourds de sens au sujet des fusillades au Collège Dawson en 2006 comptait quelques phrases qui ont déclenché une tempête qui lui a valu la perte son emploi et, temporairement, de sa santé mentale. (Pour un récumé complet en français de "L'affaire Wong" lire et écouter le dossier de Maisonneuve en direct)
Après le long silence, la journaliste a continué. Elle a raconté sa version de l'histoire.
«Je ne m'attendais pas à la chaîne ultime des événements. Je savais qu'il y aurait une réaction au Québec parce que je savais, je sais, que c'est sensible. Mais je pense toujours que c'est important de parler de ces questions au Québec», a-t-elle dit. «Je ne savais pas que mon journal ne me supporterait pas, parce que, vous savez, c'est ce qu'ils sont censés faire. Je ne m'attendais pas à ça.»
Après la fusillade au Collège Dawson
Jan Wong semblait relativement imperturbable quand j'ai demandé si elle s'attendait la réaction du Parlement et la Chambre des communes. Stephen Harper a décrit l'article comme «énormément irresponsable» et «rempli de préjugés» dans une lettre au Globe et de la Chambre a exigé des excuses de la part de la journaliste et du journal. Jean Charest a lui aussi exigé des excuses.
«J'ai été un peu surprise, car il ne semblait pas que cela devait être une affaire sur laquelle le Parlement devait perdre du temps», dit-elle. «C'est inconvenant pour le Parlement d'exiger des excuses de journalistes. Je ne pense pas que c'est leur rôle. Ce n'est pas le rôle du gouvernement, du moins pas dans une démocratie. Ce serait quelque chose qui se passerait en Chine ou la Corée du Nord.»
Mais le Globe, ou à tout le moins le rédacteur en chef d'alors, Edward Greenspon, s'est excusé. Dans un éditorial, il a écrit que le processus de rédaction avait été défectueux et que, bien que «la réaction à l'article a été disproportionnée – y compris des attaques personnelles sur Jan et sa famille – avec le recul, certains paragraphes relevaient clairement de l'opinion et auraient dû être retirés du texte… Nous regrettons la publication de ces mots dans un reportage.»
Outre s'être sentie trahie par son rédacteur en chef, Jan Wong affirme que ce qui M.Greenspon a écrit était faux.
Le processus d'écriture
Dans la controverse qui a éclaté après la publication de "Get sous le bureau," il n'était pas tout à fait clair si Jan Wong avait été envoyée à Montréal pour rédiger un texte de nouvelle ou une analyse. Pourtant, elle est aujourd'hui catégorique: «J'ai été envoyée pour écrire une analyse. Pas seulement un reportage, ils ne voulaient pas de texte neutre».
La journaliste était en route pour l'aéroport quand elle a parlé à son affectatrice pour lui demander ce qu'elle voulait exactement. «Je lui ai dit, "voulez-vous un tic-toc [un récapitulatif brut des événements], ou voulez-vous une analyse?" Et elle m'a dit, "nous voulons les deux à la fois". C'est ce que j'ai fait. Je devais savoir ce qu'ils voulaient, c'est comme ça qu'on travaille, c'est normal d'en discuter.»
Elle poursuivit: «[Mon affectatrice] a dit:« Ne te préoccupe pas de l'actualité du jour. Le bureau de Montréal s'en occupe. Occupe-toi du portrait d'ensemble, de la grande histoire pour le journal de samedi.»
Quoi qu'il en soit, Jan Wong a appelé le chef du bureau de Montréal à son arrivée, afin de clarifier le type de texte à écrire. «Aucun bureau n'aime qu'un journaliste de l'extérieur soit parachuté sur son terrain, donc juste pour être diplomate, j'ai appelé le chef de bureau. J'ai juste répété ce que la rédactrice en chef au national m'avait dit parce que très souvent il se passe trop de choses dans une journée et les gens oublient. C'était de la courtoisie, un appel de routine.»
La fusillade à Dawson a eu lieu le mercredi. Jan Wong est arrivé à Montréal le lendemain en après-midi pour produire un papier pour le journal du samedi qui devait être prêt pour la tombée de 18 heures le vendredi. En parallèle, le Globe avait un photographe à Montréal qui essayait de trouver les bonnes photos pour illustrer le texte. la journaliste lui a parlé à la retouche photo le vendredi matin.
«Ils avaient besoin de savoir ce que j'allais dire et qui j'allais interviewer. Et je leur ai dit que j'avais parlé à des élèves et à des enseignants et que j'allais écrire que le tireur était d'origine étrangère comme les deux précédents tireurs qui se sont attaqués à des écoles au Québec – même Marc Lépine, dont le nom sonne Québécois, était à moitié algérien.»
«Le Globe savait certainement quelle était ma théorie», dit-elle. «Ce n'est pas comme si les gens ne savaient pas. La rédactrice en chef au national, je lui ai dit, et elle a dit "Super. Super angle. Nous allons vraiment aimer ça".»
«Et puis je me souviens que j'ai écrit en pensant, "ok, je dois être prudente parce que je ne peux pas trop insister sur ça et je dois aussi veiller à dire aussi que les trois tueurs étaient tous fous. Je dois m'assurer que je ne dis pas que c'est parce qu'ils étaient d'origine étrangères qu'ils ont fait ça, mais je dois faire remarquer que les minorités ethniques sont aliénées."»
Dans son texte, Jan Wong a fait trois références aux Québécois «pures laines», y compris dans ce paragraphe, souvent cité comme le plus controversé: «Beaucoup d'étrangers ne se rendent pas compte combien la longue lutte linguistique de plusieurs décennies a été aliénante pour cette ville autrefois cosmopolite. Elle a non seulement été dommageable pour les anglophones, mais aussi pour les immigrants. Il est vrai que, dans les trois cas, les fusillades ont été effectuées par des personnes souffrant de troubles mentaux. Mais ce qui est vrai aussi, c'est que, dans les trois cas, l'auteur n'était pas un pure laine, un "pur" francophone. Ailleurs, parler de la pureté raciale est répugnant. Pas au Québec.»
Mais Jan Wong affirme: «Le texte n'était pas sur les immigrants. Je l'ai mentionné en passant, comme un "Oh, regardez ceci", et puis je revenais à l'histoire principale des armes que le tueur avait, le fait qu'elles étaient illégales, le fait qu'elles étaient dans son sous-sol et que personne ne savait ce qu'il faisait. C'était une histoire à propos des meurtres. Je n'ai fait qu'un clin d'oeil aux [pures laines] dans un texte très long.»
Le journal répond
Malgré tout, les commentaires de Jan Wong ont touché une corde sensible. Elle raconte comment son père a été agressé, comment le restaurant de sa famille à Montréal a été menacé de boycott, et comment sa famille et elle ont fait l'objet d'insultes racistes. Le gouvernement lui a demandé des excuses pour ses commentaires. Les lettres de lecteurs ont afflué au Globe et des caricatures qu'elle décrit comme «grossièrement exagérées» ont été publiés, comme celle-ci dans Le Devoir.
Un texte de Ed Greenspon, que le Toronto Life a décrit comme une tentative de se distancier de la journaliste, est tombé à la fin de ce Jan Wong décrit comme une «très longue semaine». La veille de la publication, il lui a demandé de venir le voir dans son bureau.
«En allant voir Ed, je pensais qu'il allait me dire: "Alors, est-ce que tu vas bien?" Mais il ne l'a pas fait. Il a dit: "Je vais écrire un texte pour demain. Je vais écrire au sujet d'une bonne chose et d'une mauvaise. La bonne concerne le reportage sur Maher Arar que nous avons publié… et la mauvaise c'est toi."»
Wong explique qu'elle a été sonnée. Elle a demandé à Ed Greenspon s'il avait lu son article avant sa parution, et il a confirmé que, bien qu'il ne l'avait pas lu dans son intégralité, il avait lu le paragraphe litigieux sur les pures laines. «J'ai été vraiment bouleversée quand il a dit que le processus éditorial avait été défectueux. Je pensais qu'il allait le dire aux lecteurs, qu'il admettrait qu'il l'avait lu et qu'il prendrait les coups avec moi, mais il ne l'a pas fait.»
Le Toronto Life en est arrivé à la même conclusion. Il a indiqué que les documents syndicaux montraient que Ed Greenspon avait lu et approuvé le texte de Jane Wong avant parution. Selon le magazine, Ed Greenspon savait que l'éditeur du journal, Philip Crawley, n'était pas satisfait de Jan Wong et de son texte, et que, par conséquent, il a «pris ses distances d'un incident potentiellement dommageable pour sa carrière en suggérant que la faute avait été commise par la journaliste et les affectateurs subalternes qui travaillaient avec elle». (M. Greenspon n'a pas répondu à une demande de commentaire pour cet article.)
Puis vint la menace de mort.
Quelques jours après la parution du texte de Ed Greenspon, Jan Wong a reçu une note au Globe. Il s'agissait d'une menace de mort.
«J'ai téléphoné à la sécurité. Le gardien est venu, il a jeté un coup d'oeil et il a dit "ne le touchez pas". Il a mis des gants, il emporté le billet et il a dit, "Nous appelons la police". Il voulait appeler tout de suite parce que c'est le protocole. Mais cela ne s'est pas produit ainsi.»
«Quelques minutes plus tard, ils m'ont appelée pour me demande de descendre à la sécurité. Le responsable de la sécurité a dit: "nous n'appelons pas la police". Je leur ai demandé d'appeler pour moi. Je ne me sentais pas capable de le faire. J'étais en train de m'effondrer.» Jan Wong explique qu'elle n'a aucune idée pourquoi le Globe n'a pas appelé la police, et le journal n'a pas répondu à une demande de commentaire sur la procédure normale dans de telles circonstances.
Cette «trahison», dit-elle, l'a propulsé plus loin dans le cercle vicieux et a été le début de sa dépression, l'objet de Out of the Blue. «Je travaille pour vous. Vous m'avez envoyée là-bas. Vous avez approuvé ce texte. Vous m'avez encouragée à écrire encore plus sur les pures laines et maintenant, quand je reçois une menace de mort, vous me dites "appeler la police vous-même?"»
"C'est pourquoi je suis tombée malade. Je me disais: "je ferais n'importe quoi pour le Globe and Mail, je ferais n'importe quoi pour obtenir une bonne histoire. Et quand je reçois une menace, il me laisse tomber."»
Jan Wong en interview à George Stromboulopoulos début juin (ajouté le 19/06):
Aller de l'avant, un œil dans le rétroviseur
Près de six ans ce sont écoulés depuis "L'affaire Wong", je lui demande donc si, avec le temps et la réflexion menée dans Out of the Blue, elle regrette ce qu'elle a écrit: «Non», me répond-elle sans hésiter. «Je n'aime pas être imprécise. Mais si je dis quelque chose avec laquelle les gens ne sont pas d'accord, ce n'est pas une raison pour le regretter.» Elle poursuit: «Je pense que c'est le rôle d'un journaliste dans une démocratie. Nous ne sommes pas censés être des relationnistes. Nous sommes censés être une autre voix. C'est notre rôle. Et c'est pourquoi j'aime le journalisme.»
Bien que Wong ait depuis longtemps quitté le Globe, elle pratique encore le journalisme. Elle est professeure à l'école de journalisme de l'Université St Thomas à Fredericton au Nouveau-Brunswick et elle a une nouvelle colonne hebdomadaire dans The Chronicle Herald. Elle a un appartement à Fredericton et y vit six mois par année.
Elle raconte une expérience de classe où elle a mis ses étudiants au défi de déposer 100 demandes d'accès à l'information et la façon dont la classe s'y est prise. Elle voulait que ses étudiants se sentent à l'aise dans le dédale des demandes d'accès des organismes gouvernementaux et en écrivent les résultats. «Je me sens si heureuse quand je fais ça parce que c'est ça du journalisme – mais au lieu d'être seule à faire une histoire, je dois former une centaine de journalistes, c'est agréable.»
Maclean's appelle son livre un «mémoire d'un divorce en milieu de travail». Dans Out of the Blue, elle raconte son combat contre la dépression et l'effet qu'elle a eu sur sa famille, son corps et sa carrière. Malgré cela, au cours de la dernière demi-heure que j'ai passée avec elle, elle n'a pas montré de séquelles. Alors que nous parlons de la côte Est, et partagions notre amour pour les Maritimes, Wong était optimiste: «Pendant toute ma carrière, mon objectif a été: pas de supervision d'un adulte. J'ai le sentiment de l'avoir enfin atteint. Je suis heureuse.»
info@cjf-fjc.ca | |
77 Bloor St. West, Suite 600, Toronto, ON M5S 1M2 | |
(437) 783-5826 | |
Charitable Registration No. 132489212RR0001 |
Founded in 1990, The Canadian Journalism Foundation promotes, celebrates and facilitates excellence in journalism. The foundation runs a prestigious awards and fellowships program featuring an industry gala where news leaders…
Ⓒ2022 The Canadian Journalism Foundation. All Rights Reserved.
powered by codepxl