Rue Frontenac: 30 jours de sursis

À moins qu’un investisseur
providentiel se manifeste, Rue Frontenac devait vivre ses
dernières heures aujourd’hui. Mais l’entreprise s’est finalement
placée sous la protection de la Loi sur les faillites ce qui lui
donne 30 jours supplémentaires, à l’abri de ses créanciers, pour
se concentrer sur la recherche d’investisseurs.

Après trois ans d’existence, ce site,
conçu comme un moyen de pression syndical pendant le lock-out au
Journal de Montréal, est parvenu à s’imposer comme un média
de référence et à enrichir le paysage médiatique québécois.
Carburant aux exclusivités, ses 40 artisans réussissent à attirer
quelque 500 000 visiteurs uniques par mois et ont
même fait parler d’eux à l’extérieur des frontières
canadiennes.

Les caisses sont vides

Cependant, ils ont aussi accumulé une
dette d’environ 120 000 dollars et trois poursuites judiciaires,
rapporte La Presse. De plus,
s’ils sont passés maîtres dans l’art de la recherche du scoop, ils
sont toujours à la recherche d’un modèle d’affaires capable de
financer leur rêve de créer un média indépendant.

Début
mars, le journaliste Julien Brault des
Affaires
décrétait déjà que l’aventure n’était pas viable. Selon ses
calculs, le site génère un revenu mensuel
de 32 000 dollars duquel il faut déduire 40 pour cent en frais
d’agence de publicité, les frais d’hébergement du site et les
frais généraux d’exploitation de l’organisation. Le maigre pécule
restant est loin de pouvoir assurer la subsistance de deux
journalistes, même adeptes de la simplicité volontaire.

Quant à l’hebdomadaire, il «contient
un taux publicitaire si faible qu’il ne sert à rien de démontrer
qu’il est déficitaire. Pire encore, la part du lion de la
publicité présente dans Rue Frontenac
provient du monde syndical», souligne Julien Brault.

Ainsi,
depuis plus de trois semaines, les 40 anciens
lock-outés
gonflent les rangs des journalistes bénévoles du Québec. Le
conflit de travail terminé, ils ne touchent plus de prestations
syndicales et ne peuvent plus compter sur les syndicats pour leur
acheter de la publicité. Début mai, ils ont donc dû tirer un trait
sur l’hebdomadaire distribué à 75 000 exemplaires pendant 25
semaines et annoncé, en début de semaine, que le site cesserait
d’être mis à jour à la fin de la journée d’aujourd’hui.

Le
navire prend l’eau

«On
ne peut pas continuer éternellement et dilapider nos compensations
de départ. Ce serait s’acharner sur le malade. Il vaut mieux retirer
d’un seul coup sur le
plaster,
finir en beauté, la tête haute», nous confiait le journaliste
Jean-François Coderre mercredi. Pour lui, il n’est pas question de
continuer à alimenter le site à temps perdu en cherchant du travail
ailleurs: «l’équipe, c’est l’actif principal de
Rue
Frontenac
, si elle commence à
se disperser, on ne peut pas continuer.»

En se
plaçant sous la protection de la Loi sur les faillites,
Rue
Frontenac
joue sa dernière
carte. Le site met entre parenthèses sa dette pour se concentrer sur
les pourparlers avec les investisseurs potentiels. Deux ou trois
pistes seraient à l’étude. Jean-François Coderre précise
toutefois que Quebecor n’est pas dans les plans. Au moment du
règlement du conflit de travail, le conglomérat avait en effet
proposé à ses lock-outés des services d’impression et de
distribution, avec escomptes. Cependant, l’hebdomadaire n’existant
plus, cette option ne tient plus.

Selon
La Presse, des
pourparlers ont eu lieu avec «un important acteur des médias
québécois», mais ont finalement achoppé poussant
Rue
Frontenac
à miser sur un autre
cheval. Toutefois, à chaque journée qui passe, le navire prend de
plus en plus des airs de Radeau de la Méduse. «On arrive à la
conclusion qu’un média indépendant au Québec, c’est plus possible.
À l’exception du
Devoir,
il n’y en aura plus d’autres», laisse tomber le coordonnateur
général de l’aventure, Richard Bousquet.

Voir aussi:

L’hebdo Rue Frontenac cesse de paraître