Quand les intérêts de l’association l’emportent sur ceux de la profession

Par Pascal Lapointe

En avril dernier, 87% des membres de la FPJQ ont voté pour la création d’un titre de journaliste. Mais il y a deux semaines, des représentants de la FPJQ ont décidé que ce n’était plus une bonne idée. On n’est plus très loin des 99%, là. Un «Occupons la FPJQ» serait peut-être de mise au congrès?

Par Pascal Lapointe

En avril dernier, 87% des membres de la FPJQ ont voté pour la création d’un titre de journaliste. Mais il y a deux semaines, des représentants de la FPJQ ont décidé que ce n’était plus une bonne idée. On n’est plus très loin des 99%, là. Un «Occupons la FPJQ» serait peut-être de mise au congrès?

Je plaisante, bien sûr. N’empêche qu’une fois encore, un projet tentant de s’ajuster à la nouvelle réalité des médias semble en voie d’être balayé sous le tapis. Et dimanche prochain, lors de son assemblée générale, la FPJQ devra dire, sans le dire en ces mots, que les intérêts de l’association l’ont emportés sur ceux de la profession.

Dans tout ça, les perdants sont, mais ils ont l’habitude, les pigistes. Ça n’a pas été suffisamment expliqué, tout occupé qu’on était à se préoccuper de qui imprimera la carte, mais cette idée d’un statut était la plus grande avancée des 10 dernières années pour une hypothétique amélioration des conditions de travail des pigistes.

Pour l’instant, ils sont prisonniers de tarifs au feuillet qui, quoi qu’en dise la théorie de l’entrepreneur, dépendent avant tout de la bonne volonté des éditeurs: certains sont ouverts à la négociation à la pièce, d’autres non, mais quand bien même le sont-ils, lorsqu’un pigiste quitte la profession, son successeur repart à zéro. C’est comme si le salaire minimum n’avait pas bougé depuis 1970.

Est-il besoin de le répéter, de mauvaises conditions de travail —pas juste celles des pigistes— ont inévitablement un impact sur la qualité de l’information. C’était dans cette perspective qu’avait été écrit le rapport de Dominique Payette: «assurer que l’offre d’information et les conditions de pratique du journalisme professionnel ne se détériorent pas davantage».

Et bien sûr, je n’oublie pas que la ministre Saint-Pierre avait écarté de ses consultations la recommandation du rapport Payette sur le droit à la négociation collective pour les pigistes. Une erreur de plus, puisque qualité de l’info et conditions de travail sont indissolublement liées.

Un statut ne serait pas la fin de tout : il faudrait qu’il s’accompagne d’un cadeau aux éditeurs, pour les inciter à embaucher davantage de journalistes «accrédités» et, du coup, doter ceux-ci d’un statut similaire à celui des artistes ou des scénaristes de la télé qui, tous, signent un contrat-type (incidemment, à mon avis, ça servira aux blogueurs aussi, le jour où ils seront payés).

Si vous n’aimez pas l’idée, la seule autre piste serait de passer par le Code du travail en invoquant le fait que tous les travailleurs autonomes ont un droit à la négociation collective, donc au même titre que les salariés. Je doute que ça passe comme une lettre à la poste…

Reste que pour l’instant, la FPJQ invoque dans son communiqué qu’on n’aura même pas ce statut parce que, «dans l’environnement juridique actuel, il semble impossible de créer un titre qui respecterait la volonté d’indépendance totale des journalistes à l’égard de l’État».

Les positions absolutistes, ça sonne bien, mais c’est perdant. Une indépendance «totale»? Radio-Canada n'est pas «totalement» indépendante de l'État, puisqu’elle dépend de ses sous. Pourtant, la distance qu’a conservée l'État satisfait tout le monde.

Et puis, ça va de soi que «dans l’environnement juridique actuel», nul ne peut garantir une indépendance totale de l’État: nous vivons dans un État de droit!

S’il fallait prendre ces raisons à la lettre, il faudrait conclure qu’on acceptera un titre de journaliste le jour où nous vivrons dans une Utopie sans État et sans environnement juridique. Si c’est ça, les pigistes vont attendre longtemps.

 

Pascal Lapointe est entre autres co-auteur de Les Nouveaux journalistes. Entre précarité et indépendance, sur le journalisme à la pige.

 

Voir aussi:

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