Prévoir l’imprévisible – Le défi des programmes de formation en journalisme

Par Judith Dubois, originellement paru sur Affaires universitaires.

L’actualisation des programmes d’enseignement est une démarche non seulement nécessaire mais également impérative lorsqu’elle concerne des domaines d’activité comme le journalisme, qui évoluent rapidement dans un environnement en pleine mutation.

Par Judith Dubois, originellement paru sur Affaires universitaires.

L’actualisation des programmes d’enseignement est une démarche non seulement nécessaire mais également impérative lorsqu’elle concerne des domaines d’activité comme le journalisme, qui évoluent rapidement dans un environnement en pleine mutation.

C’est le cas du baccalauréat en journalisme de l’Université du Québec à Montréal dont l’évaluation vient d’être terminée et qui n’a pas connu de modifications majeures depuis sa refonte en 1995. Après des mois de consultations et d’analyse, la rédaction et la validation de différents rapports et l’approbation de centaines de pages de documents auprès de toutes les instances institutionnelles, les professeurs de journalisme de l’UQAM sont maintenant prêts à entreprendre une réforme longuement attendue.

Il s’agit là d’un immense défi : le monde change vite mais les universités bougent lentement. Jusqu’à présent, les évaluations de programmes devaient se faire aux 10 ans et les démarches exigées pour aboutir à l’actualisation d’un programme pouvaient prendre jusqu’à cinq ans. Si le passé était garant de l’avenir, il faudrait pouvoir s’assurer que le nouveau programme de journalisme offert à compter de l’an prochain puisse être pertinent jusqu’en 2028! Mais comment prévoir des années à l’avance alors que nous avons du mal à imaginer ce qui se passera demain?

Dans son documentaire portant sur les nouvelles tendances en information intitulé Derrière la toile, le professeur Florian Sauvageau affirmait que ceux qui prétendent savoir ce que sera le journalisme dans 10 ou 20 ans sont des fumistes. « Ne les croyez surtout pas, disait-il, personne ne le sait. » Alors quelle voie prendre?

À défaut de pouvoir prédire l’avenir, la démarche la plus sage consiste sans doute à appuyer la formation sur les fondements du journalisme plutôt que sur les tendances en mouvement, en s’assurant néanmoins que la structure de formation mise en place offre une souplesse d’adaptation au changement. Nous devons également miser sur les pratiques journalistiques les plus immuables en intégrant dans leur enseignement celles qui sont davantage susceptibles d’évoluer.

Comprendre le monde pour l’expliquer

Lors de nos consultations, nous nous attendions à ce que nos étudiants diplômés déplorent leur manque de préparation aux nouvelles technologies et aux nouveaux courants d’information. Or, les suggestions les plus fréquemment avancées par eux concernaient la nécessité pour le programme d’offrir davantage de cours de culture générale « visant à développer une compréhension du monde et du fonctionnement de la société ».

Cet intérêt pour les cours de science politique, d’histoire, de droit, d’économie ou de sociologie n’est pas surprenant lorsque l’on considère que le rôle du journaliste n’est pas seulement de transmettre de l’information mais également d’expliquer les événements de l’actualité, de les remettre en contexte et de leur donner un sens. Il est donc tout à fait légitime de chercher à accroître ses connaissances générales, surtout lorsque l’on est appelé à couvrir l’actualité de plus en plus rapidement, avec de moins en moins de recul sur les événements. 

La démarche journalistique au cœur de la formation

Un autre aspect qui est ressorti clairement de l’évaluation de notre programme est l’importance de la formation pratique. Ce besoin s’explique par le fait que les médias n’ont pas le temps d’encadrer l’apprentissage du métier « sur le tas ». À cela s’ajoute le fait que les journalistes doivent maintenant être en mesure de produire de l’information pour différents types de médias et de plus en plus, sur différentes plateformes en même temps. Or, comment préparer les étudiants à pratiquer le journalisme au sein de différents médias qui sont appelés à se transformer?

Il faut d’abord rappeler que le journalisme n’est pas tributaire d’un média en particulier mais est d’abord issu d’une démarche intellectuelle spécifique qui le distingue d’autres productions médiatiques. La démarche journalistique implique un ensemble de fonctions de recherche, d’analyse et de traitement de l’information qui s’intègrent dans un processus intimement lié au contexte social, économique, politique et culturel dans lequel évolue l’actualité.

Cette démarche demeure fondamentale au sein de la pratique journalistique malgré les transformations que peuvent connaître les médias. Ainsi le journalisme, qui était l’apanage de la presse écrite au tournant du XIXe siècle, s’est adapté à la radio, puis à la télévision, puis à Internet, et s’adaptera fort probablement à d’autres médias qui pourraient voir le jour.

Le travail journalistique doit toutefois continuer à être enseigné en fonction de médias spécifiques comme la presse écrite, la radio, la télévision et Internet parce que chaque média présente des caractéristiques propres qui influencent fortement la façon de produire et de transmettre l’information. La maîtrise de l’écriture, du son ou de l’image comme véhicules de contenu demeure donc fondamentale et même si les médias changent, les compétences qu’ils requièrent sont souvent transférables ou adaptables.

Il faut quand même pouvoir expérimenter de nouvelles pratiques en favorisant l’élaboration de projets qui pourraient par exemple, mettre à contribution différents cours liés à des médias spécifiques en utilisant Internet comme espace commun de diffusion et d’interaction. Des ressources humaines et technologiques doivent néanmoins être disponibles de façon continue afin de pouvoir répondre aux besoins d’expérimentation qui évoluent constamment.

Internet constitue également un réseau foisonnant d’information, d’échanges et de croisements de modes de communication dont nous devons absolument tenir compte. La meilleure façon d’intégrer ces nouvelles tendances à la formation consiste à les considérer pour les usages journalistiques qui en sont faits.

Les sites Web et les médias sociaux comme Facebook ou Twitter, par exemple, sont devenus des outils de recherche essentiels pour trouver des sujets ou des sources d’information et trouvent naturellement leur place dans l’enseignement de la démarche de recherche journalistique. De la même façon, les blogues et les « tweets » journalistiques peuvent être abordés dans des cours de journalisme d’opinion au même titre que la chronique, la critique ou l’éditorial.

Le rôle du journalisme dans la société

Dans un contexte où les nouvelles technologies permettent maintenant à tout un chacun d’échanger et de diffuser de l’information, il devient plus pertinent que jamais d’aborder la raison d’être du métier de journaliste. Ce qui distingue le journaliste professionnel du journaliste citoyen, du blogueur en dilettante et des générateurs de contenu, c’est la présomption que son travail doit servir non pas à défendre des causes personnelles, orienter les esprits ou faire mousser les ventes (d’un produit ou de son propre média), mais qu’il doit d’abord et avant tout être au service de l’intérêt public et, plus largement, de la démocratie.

Les programmes de formation en journalisme doivent donc continuer à offrir un enseignement portant sur le rôle du journalisme dans la société, à susciter une réflexion sur les enjeux qui le concernent et à transmettre les notions de rigueur et d’éthique propres à l’exercice de cette profession.

Les étudiants en journalisme doivent également avoir accès aux connaissances issues de la recherche universitaire sur les médias et les communications; l’étude du rapport entre les médias numériques et la mobilisation sociopolitique, par exemple. Il faut néanmoins prendre garde de privilégier certains cours spécifiques de manière définitive, cristallisant ainsi la réflexion intellectuelle. Le mieux serait de pouvoir donner accès à un choix plus vaste de cours parmi ceux qui sont disponibles et ouvrir la porte à ceux qui seront créés à l’avenir, sans que chaque modification de l’offre de cours nécessite de passer systématiquement par un processus administratif lent et fastidieux, qui handicape lourdement l’ouverture au changement.

Judith Dubois est professeure à l’École des médias à l’Université du Québec à Montréal.