Par Kelly Toughill, traduction d’un article paru sur J-Source
En matière d’accès payant à l’information publiée en ligne, les journaux canadiens mènent la danse, mettant en place, plus rapidement que leurs homologues aux États-Unis et en Europe, des systèmes d’abonnements numériques.
Par Kelly Toughill, traduction d’un article paru sur J-Source
En matière d’accès payant à l’information publiée en ligne, les journaux canadiens mènent la danse, mettant en place, plus rapidement que leurs homologues aux États-Unis et en Europe, des systèmes d’abonnements numériques.
À la fin de l’année, les lecteurs anglophones de la plupart des grandes villes canadiennes auront à payer pour accéder à leur quotidien en ligne. Exception faite du Winnipeg Free Press, qui laisse encore à ses lecteurs le loisir de parcourir ses pages sans frais, pour peu qu’ils se trouvent sur le territoire canadien. En dehors des frontières, il faut sortir le portefeuille.
Une étude informelle menée par J-Source et portant sur quatre-vingt-quinze quotidiens, démontre que 80% des journaux canadiens ont du contenu payant sur leur site internet ou envisagent de le faire dans un avenir proche. C’est deux fois plus qu’aux États-Unis.
«Le Canada s’engage plus vigoureusement que les autres pays dans la voie du contenu payant, du fait principalement de la structure de son industrie médiatique et de ses propriétaires», explique Robert Picard, économiste spécialiste des médias et directeur de l’institut Reuters pour les études en journalisme de l’université d’Oxford.
«Environ 40% des journaux états-uniens font maintenant payer leur contenu numérique et à peu près la moitié font de même au Royaume-Uni, ajoute-t-il. Les journaux des autres pays suivent la tendance, mais ils sont encore à la traine.»
La plupart des journaux canadiens ont passé la dernière décennie à tenter de faire affluer sur leur site, la plus large audience possible, espérant générer ainsi des revenus publicitaires lucratifs. Mais quand il est devenu clair que la publicité numérique ne permettrait pas de soutenir l’industrie, les éditeurs ont commencé à réfléchir à un moyen de faire payer les lecteurs.
La transition vers les abonnements en ligne a été rapide. Northern News Service fait payer l’accès à ses hebdomadaires depuis plusieurs années maintenant, mais la tendance nationale a véritablement démarré à la fin de 2011 lorsque Brunswick News plaça ses dix-neuf journaux derrière un mur payant. Un an plus tard, c’était au tour du Globe and mail de faire de même. Les conglomérats Postmedia et Black Press suivirent rapidement. Et le Toronto Star érigea un mur payant en aout dernier.
Quant à Pierre-Karl Péladeau, alors président de Québecor, il annonça en mai dernier que tous les quotidiens de Sun Media seraient prochainement en accès payant, mais pour l’heure seuls sept sur les trente-quatre que le groupe contrôle ont mis en place un abonnement numérique. Aucun porte-parole du groupe ne s’est prononcé sur l’allure à laquelle les murs payants seront dressés.
Le groupe Gesca, propriétaire de sept journaux au Québec, dont La Presse, a pris une direction totalement opposée, en proposant une application ipad très sophistiquée et complètement gratuite.
TC Media est en fait le seul groupe à opérer une transition lente. Seuls deux de ses titres, le Truro Daily et le Charlottetown Guardian, se trouvent derrière un mur payant. Et la porte-parole de la compagnie, Katherine Chartrand, assure que TC Media n’a pas encore pris de décision concernant ses huit autres journaux.
Du côté des journaux indépendants et des plus petits groupes, on embarque dans le business du paywall de façon plus prudente. Un mur payant est «imminent» au Halifax Chronicle Herald, selon son vice-président Ian Scott, mais le Winnipeg Free Press n’a aucun plan allant dans ce sens et le Chronicle Journal de Thunder Bay (Ontario) n’en parle pas non plus.
«Il arrive que nous nous demandions pourquoi rester en dehors de ce mouvement, convient l’éditeur du Winnipeg Free Press, Bob Cox. Mais le luxe que nous avons est de ne pas être obligé de suivre une décision prise au niveau corporatif, et contrôlée par les actionnaires. Ron Stern [ndlr, copropriétaire du journal] pense que nous devrions préserver le papier le plus longtemps possible.»
Cox admet que son équipe continue de discuter de l’opportunité d’ériger un mur payant mais n’est pas convaincu qu’un site restreint pourrait rester compétitif face à la machinerie lourde que représente CBC par exemple.
Selon Robert Picard, le leadership du Canada en matière de paywall est dû à deux facteurs : la nature commerciale du journalisme canadien et la grande concentration de l’industrie.
«Les journaux canadiens ont peu de propriétaires, explique-t-il. Ceux-là sont donc moins nombreux à convaincre qu’aux États-Unis. C’est pourquoi les lignes bougent plus rapidement.»
John Hinds dirige Newspaper Canada, une organisation qui promeut l’industrie. Selon lui, les politiques et les systèmes d’abonnements en ligne changent chaque jour au Canada.
«Il y a autant de modèles d’affaires qu’il y a de journaux. Chacun tente de trouver une solution viable.»
Il y a en fait trois modèles au Canada : le plus dur (hard-paywall), celui mis en place notamment par le groupe Brunswick News, ne permet d’ouvrir aucun article sans avoir préalablement payé pour. Un autre système, le metered-paywall, permet aux membres de lire gratuitement un nombre d’articles donné chaque mois, et de payer ensuite pour en avoir plus. Au Canada, les journaux proposent généralement entre cinq et vingt histoires par mois. Le dernier modèle, appelé premium, permet aux lecteurs d’ouvrir tous les articles mais pas de les lire jusqu’au bout. Concernant ces deux derniers modèles, l’abonnement coute entre 3 et 20$.
Cet élan vers le mur payant a été principalement généré par le New York Times, qui a lancé son propre paywall en 2011. C’était la deuxième fois que le Times tentait l’abonnement en ligne. Il abandonna le premium en 2007 et se lança dans le metered quatre ans plus tard. Ce mur payant a complètement modifié le modèle d’affaires de cet icône des médias. Dix ans plus tôt, la publicité générait plus de 80% des revenus de la compagnie. Elle en produit aujourd’hui moins de 50%.
Il est trop tôt pour jauger l’impact des murs payants sur les lecteurs et les revenus des journaux au Canada. L’éditeur du Globe and Mail, John Stackhouse, a avoué dans une conférence internationale plus tôt cet été que si le lectorat avait augmenté de 40% au moment de la mise en place du paywall, celui-ci s’en allait petit à petit.
Le directeur de Brunswick News, Jamie Irving, a refusé de partager son expérience du paywall, pourtant longue de deux ans maintenant. Rob Warner, qui était rédacteur en chef de l’organisation lorsque le paiement a été mis en place, a cependant confié à J-Source que Brunswick News avait attiré 14 000 nouveaux abonnements numériques en dix mois. Ajoutant que le paywall ne servait pas uniquement à générer de nouveaux revenus mais aussi à offrir aux annonceurs la possibilité de cibler un certain type de lecteurs.
«L’objectif est de changer réellement le modèle d’affaires traditionnel des journaux», affirme-t-il.
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