Les médias reçoivent des menaces en poudre

Plus de dix colis suspects ont été livrés à Montréal, Sherbrooke et Québec, ce matin, y compris à des médias.

Plus de dix colis suspects ont été livrés à Montréal, Sherbrooke et Québec, ce matin, y compris à des médias. Les salles de rédaction de La Presse et de TVA, de même que le siège de Québecor dans le Vieux Montréal et les locaux de Radio Pirate et de CHOI FM à Québec ont tous reçu un paquet similaire: une enveloppe contenant de la poudre blanche.

Les bureaux du Premier ministre Jean Charest, à Sherbrooke, ceux des ministres Michelle Courchesne, Monique Gagnon-Tremblay, Jean-Marc Fournier, Christine St-Pierre, Pierre Arcand et des députés Gerry Sklavounos et Stéphane Dion, notamment, ont également reçu des enveloppes du même type. Loto-Québec et les bureaux de la Conférence des recteurs des universités du Québec ont aussi été visés.

Ces envois ont provoqués un véritable branle-bas de combat. Plusieurs locaux ont été évacués, dont ceux de La Presse. Mais, jusqu'à présent, les analyses ont révélé que ces colis étaient inoffensifs. Tous sont revendiqués par les «Forces armées révolutionnaires du Québec» (FARQ), regroupement qui rappelle un groupe disparu dans les années 1960: l’Armée révolutionnaire du Québec, l’aile militaire du Front de libération du Québec. Les FARQ ne sont pas connus des services policiers ni des milieux militants, rapporte La Presse. Il s'agirait de leur premier coup d'éclat.

Les mois se suivent et se ressemblent

Le mois dernier, les rédactions avaient dû essuyer d'autres menaces. Celles du groupe Force étudiante critique qui a appelé à des actions directes contre les médias. «Ne nous laissons pas déconcentrer par la loupe médiatique au service de l'idéologie dominante. En symbiose avec le pouvoir, les médias délateurs sont des cibles de choix pour les actions à venir», pouvait-on lire sur le site de l'organisation étudiante radicale.

Force étudiante critique reproche aux entreprises de presse leur traitement de la grève étudiant et, plus particulièrement, du dossier des bombes fumigènes jetées dans le métro de Montréal. «La Presse et ses suiveux nous démontrent, encore une fois, de quel côté de la barricade ils se dressent: celui de la matraque, des arrestations, des gaz, du poivre et des balles de plastique. Les petits chefs de pupitre appuient l’érosion de nos libertés», dénonçait-elle.

Des rédactions, des journalistes et des chroniqueurs ont également reçu des menaces de mort. Un homme a par exemple téléphoné au pupitre radio de La Presse Canadienne pour hurler: «Tous les médias rapportent la même chose. Si je vous vois, vous, sur le terrain, je vais vous tuer», rapporte la journaliste Lise Millette. Un autre mécontent a déclaré pendant une manifestation avoir «beaucoup de sympathie pour les groupes qui décident de tuer un journaliste».

Polarisation du discours

Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Brian Myles, le président du Conseil de presse du Québec, John Gomery, et la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, ont tous dénoncé les menaces répétées contre les journalistes. Les journalistes n'ont cependant pas le monopole des menaces. Le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau Dubois, en reçoit tant qu'il est entouré de gardes du corps. Dans ce contexte très polarisé, John Gomery a appelé à une prise de conscience professionnelle:

«Je remarque une radicalisation du discours de certains journalistes et commentateurs. Rarement aura-t-on pu lire ou entendre des opinions aussi virulentes que lors de ce conflit, et ce simple constat doit nous amener à nous demander si une plus grande modération dans la libre expression des points de vue ne diminuerait pas le risque d’exacerber et de radicaliser le conflit, en plus de mieux respecter les droits de chacun (…).»

Allant dans le même sens, le professeur Normand Landry, spécialiste des questions de liberté d'expression et enseignant-chercheur à la Téluq, critique l'espace grandissant consacré à l'opinion aux dépens du journalisme d'information. Un virage qu'il associe à la vocation commerciale des entreprises de presse. «C'est difficile dans ce contexte de [montrer au public] que le journal n'est pas là pour prendre part au conflit et l'orienter, mais pour les aider à le comprendre», expliquait-il à ProjetJ le mois dernier. «[Les gensassocient les journaux, non plus à des plateformes d'information, mais à des organes de propagande.»

 

Voir aussi l'article de Radio-Canada.ca: "Certaines associations étudiantes affiliées à la CLASSE ont adopté, au fil des mois, des mandats de méfiance à l'endroit des grands médias."