Par Malory Lepage, Marie-Philippe Chaput et Florence Demers, étudiantes en journalisme à l’Université Laval.

Le journalisme multiplateforme permet au public de s’informer en tout temps et à tout endroit. Amenant l’information au-delà du support papier, les technologies accompagnent les gens au quotidien. Outre la télévision, la radio et l’ordinateur, les appareils mobiles constituent désormais des outils d’information non négligeables.

Par Malory Lepage, Marie-Philippe Chaput et Florence Demers, étudiantes en journalisme à l’Université Laval.

Le journalisme multiplateforme permet au public de s’informer en tout temps et à tout endroit. Amenant l’information au-delà du support papier, les technologies accompagnent les gens au quotidien. Outre la télévision, la radio et l’ordinateur, les appareils mobiles constituent désormais des outils d’information non négligeables.

Pour les journalistes, c’est une réalité à laquelle ils ne peuvent se soustraire. Mine d’or pour certains et source de maux de tête pour d’autres, tous doivent s’y adapter, car peu nombreux sont les médias qui ne s’y sont pas encore convertis.

Chose certaine, cette facilité d’accès à l’information stimule et enrichit les débats publics. Toutefois, des informations inexactes peuvent s’infiltrer dans ce flot de nouvelles. «Avec tout ce qui est véhiculé, le contenu se retrouve souvent dilué et parfois même, erroné», soutient Allison van Rassel, journaliste à Radio-Canada et chroniqueuse au sein de nombreux médias. Elle œuvre dans le milieu depuis plus de 13 ans, tant à la radio, à la télévision, que dans la presse écrite et les ressources en ligne. Elle est également l’auteure du blogue Foodies in Quebec City, une référence en matière d’établissements de restauration gourmet dans la capitale, s’adressant à la communauté anglophone et aux touristes.

Ayant étudié à l’époque où les ordinateurs se faisaient encore rares, Allison Van Rassel a vécu toute la transformation du paysage médiatique à l’ère du numérique. Toutefois, la journaliste de 35 ans n’y voit pas de problèmes. À son avis, ce n’est qu’une raison de plus de vérifier ce qu’on lit. «Même si les standards sont très élevés chez certains médias, il ne faut rien tenir pour acquis», assure-t-elle. Elle ajoute que «souvent, la volonté de surprendre va primer la véracité des faits», particulièrement dans le cas de Twitter.

Information tronquée

Olivier Parent, journaliste au quotidien le Soleil depuis trois ans et étudiant en science politique à l’Université Laval, connaît bien le revers de cette réalité. Il se rappelle un procès qu’il a couvert, au cours duquel il s’est senti obligé de tweeter, car tous les journalistes le faisaient.

«On sortait tout ce qui se disait, même si ça n’avait pas d’importance», déplore-t-il. Il admet avoir réduit son débit de tweets en se rendant compte que l’information véhiculée n’éclairait pas nécessairement le lecteur. «Diffuser des parcelles de propos rapportés, c’est de l’information tronquée: ça porte davantage à confusion que ça ne guide», déclare-t-il. Étant donné le nombre de signes restreint dans l’usage de ce médium, il faut éviter de tirer des conclusions de ces cent quarante caractères.

À ce titre, Olivier Parent donne l’exemple d’un tweet sensationnel émis par un journaliste pendant le procès Delisle. On pouvait lire «À voir ce soir à [une chaîne de nouvelles dont il ne dévoile pas l’identité]: le fils de Jacques Delisle pète sa coche». C’est un exemple de cas où la rigueur a été délaissée au profit de la volonté d’accrocher les lecteurs.

Parfois même, la course à l’information à laquelle se livrent les journalistes sur Twitter devient presque un concours de popularité. Olivier Parent souligne qu’alimenter son fil d’actualité contribue grandement à obtenir des abonnés.

Quête du vedettariat

Dans son livre La transformation du service de l’information de Radio-Canada, Chantal Francoeur aborde cet angle précis du phénomène en matière de personal branding: «Leurs nouvelles sont retweetées, réacheminées […]. Ça marche! Les abonnés suivent. Ils ont l’impression qu’ils ont une relation privilégiée avec le journaliste». Le but du journaliste étant d’informer avant tout, cette quête du vedettariat fait obstacle à la bonne transmission de l’information.

Au-delà de Twitter et des autres réseaux sociaux, le web renferme plusieurs plateformes de diffusion de nouvelles. Le témoignage d’un journaliste anonyme dans l’ouvrage de Mme Francoeur exprime certains avantages de ce médium: «En 1 minute 45 secondes à la télé, on prend tellement de raccourcis, je me sens presque malhonnête, alors le Web me permet d’en donner plus». Il affirme que cette plateforme élimine souvent les contraintes d’espace et de temps, un point fort et non négligeable, à son avis.

Le journaliste est également amené à utiliser le web afin de vendre ou de compléter les informations des autres supports. Olivier Parent explique qu’il publie parfois des informations de dernière minute sur le site internet du Soleil. Ces brèves mettent les lecteurs en appétit sur ce qui sera paru dans le journal le lendemain. Ce procédé fait partie des nouvelles obligations qu’apporte le multiplateforme. Ces nouvelles nécessités contraignent donc les journalistes à s’adapter aux technologies.

Pour Allison van Rassel, ce n’est pas qu’une option, c’est une réalité: «Cela fait désormais partie de la définition de journaliste, il faut s’adapter, peu importe notre âge ou notre ancienneté». Et elle y voit d’ailleurs plus d’avantages que d’inconvénients. «Internet facilite grandement la tâche des journalistes, surtout pour la recherche», soutient-elle.

Anxiété et craintes

Tous n’y voient pas cependant autant de points positifs. Dans son ouvrage, Chantal Francoeur explique que de nombreux jeunes, nouvellement arrivés dans la profession, doivent se plier au multiplateforme. Puisqu’ils sont instruits en ce sens à l’école, les nouveaux diplômés se voient imposer des tâches journalistiques, que les plus anciens préfèrent refuser. Leur statut temporaire les contraint à s’y conformer, sans quoi ils craignent de se faire pointer la porte. Afin d’assouvir leur besoin de réalisation au plan professionnel, les jeunes refusent de poser leurs limites et acceptent ces tâches plus contraignantes.

Mais pour ce qui est des journalistes arrivés avant la convergence numérique, ces nouveautés sont accueillies avec un enthousiasme mitigé. Toujours selon Chantal Francoeur, «le changement de culture entraîné par l’intégration est exploré: redevenir un débutant alors qu’on était un professionnel, modifier son approche de reporter radio, ses habitudes de reporter télé, sa façon de faire du web». Cette culture est source de luttes internes, d’anxiété et de craintes chez plusieurs.

Malgré les pressions à agir sur tous les supports, Olivier Parent soutient que, dans son cas, il peut encore prendre le temps de traiter en profondeur certains sujets. «Quand j’ai une primeur, mes patrons me laissent aller pour la journée», explique-t-il. Il n’a pas à alimenter simultanément le web, il peut se consacrer entièrement à cet article spécial.

«Ils ont conscience que ce contenu pourra éventuellement être adapté à toutes les plateformes», précise-t-il. Le journaliste soutient que le multiplateforme pousse les professionnels à revoir leurs méthodes de travail. «Certains préfèrent répondre aux critères de quantité et de rapidité afin de nourrir la bête», avance-t-il. Tout dépend des forces et des buts de chacun: cette adaptation se fait tant par le type de média utilisé que dans la sélection des sujets.

Appropriation progressive

Selon la journaliste et doctorante en communication publique à l’Université Laval, Geneviève Chacon, le multiplateforme est «un champ en émergence, puisque ces technologies sont très nouvelles». Elle ajoute que l’utilisation qu’en font les journalistes évolue tous les jours, ce qui rend l’étude de la chose difficile pour le moment. De plus, on ne peut généraliser les faits qui s’appliquent à un média, à l’ensemble des sphères d’information.

«Ce qu’on sait, d’une part, c’est que le web permet aux journalistes d’avoir accès à plus d’information, plus rapidement», affirme-t-elle. Elle mentionne la possibilité de s’abonner à des fils d’information et des flux RSS, permettant aux journalistes d’avoir accès à des renseignements spécifiques à chaque champ d’action. «Il existe également toutes sortes de plateformes nous permettant d’interagir en temps réel, avec des sources potentielles», souligne-t-elle, observant toutefois que l’adoption de ces nouveaux comportements se fait de manière graduelle. «On ne parle pas d’une révolution, mais bien d’une appropriation progressive.»

Le multiplateforme apporte toutefois une contrainte de temps aux journalistes. «L’actualité évolue très rapidement», expose-t-elle. Ainsi, des nouvelles peuvent émerger sur les médias sociaux avant même d’avoir été découvertes par les journalistes. Cela met donc une pression supplémentaire auprès de ces derniers à performer dans la course à l’information. Puisque les flux d’actualité en ligne roulent jour et nuit, il peut être difficile pour certains de dissocier leur vie professionnelle de leur vie personnelle.

Au sujet des journalistes qui consultent leurs comptes de médias sociaux la nuit afin de ne rien manquer, Allison van Rassel croit que les limites diffèrent d’un individu à l’autre. «Il faut savoir quand s’arrêter, soutient-elle. Car un cerveau bien reposé travaille beaucoup mieux qu’un cerveau exténué». À son avis, le sommeil est aussi important que les nouvelles, car «tout est une question d’équilibre».

À voir aussi:

Marie-Ève Bédard, correspondante de Radio-Canada au Moyen-Orient

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