Par SĂ©bastien Gauthier, M.A. en communication, UniversitĂ© d’Ottawa
Le Mexique est reconnu comme Ă©tant l’un des endroits le plus dangereux au monde pour exercer la profession de journaliste. Depuis 2000, plus de quatre-vingt journalistes y ont Ă©tĂ© tuĂ©s. Cette violence est attribuable Ă la lutte au narcotrafic. Pris au centre d’un vĂ©ritable feu croisĂ©, voire triangulĂ©, les journalistes subissent les pressions exercĂ©es par le crime organisĂ©, les mĂ©dias qui les emploient et les autoritĂ©s gouvernementales.
Par SĂ©bastien Gauthier, M.A. en communication, UniversitĂ© d’Ottawa
Le Mexique est reconnu comme Ă©tant l’un des endroits le plus dangereux au monde pour exercer la profession de journaliste. Depuis 2000, plus de quatre-vingt journalistes y ont Ă©tĂ© tuĂ©s. Cette violence est attribuable Ă la lutte au narcotrafic. Pris au centre d’un vĂ©ritable feu croisĂ©, voire triangulĂ©, les journalistes subissent les pressions exercĂ©es par le crime organisĂ©, les mĂ©dias qui les emploient et les autoritĂ©s gouvernementales.
De ces pressions naissent des dilemmes. Doit-on mettre à risque sa santé, son intégrité physique, ou celle de ses proches, au nom du travail? Certains journalistes ont été confrontés à ces dilemmes. Ils ont eu à prendre des décisions lourdes de conséquences. Le dilemme et le mécanisme menant à sa résolution ont été analysés à travers ma thèse de maîtrise intitulée, Les grands dilemmes des journalistes mexicains dans le contexte de la couverture du crime organisé, et résumée ici.
La violence au Mexique
Le phĂ©nomène de la violence au Mexique, en particulier celle faite aux reprĂ©sentants de la presse, fait rĂ©gulièrement la manchette. En revanche, l’aspect individuel, la gestion des dilemmes en dĂ©coulant, demeure mĂ©connu. Une douzaine de journalistes Ĺ“uvrant, ou ayant Ĺ“uvrĂ©, au Mexique ont Ă©tĂ© interrogĂ©s. Ils ont parlĂ© de leur expĂ©rience, de leurs dilemmes et de la façon dont ils les gèrent.
Concrètement, de quoi parlent les journalistes interrogĂ©s? Un exemple de dilemme d’ordre managĂ©rial liĂ© Ă la gestion des ressources humaines a Ă©tĂ© offert. Un patron d’un journal de l’État de Chihuahua confie avoir affectĂ© un journaliste Ă certaines tâches que l’on savait dangereuses. Le journaliste a Ă©tĂ© assassinĂ©. RencontrĂ© lors de l’enquĂŞte, le patron s’en veut toujours. Le dilemme Ă©tait de maintenir ou non ce journaliste dans ses tâches habituelles et ce, malgrĂ© les risques. La dĂ©cision prise aura Ă©tĂ© fatale.
Un dilemme d’ordre Ă©conomique a Ă©tĂ© dĂ©crit par une participante de l’État de Durango. Elle a dĂ» changer son style journalistique, jouer profil bas, afin de conserver son emploi et, par ricochet, l'assurance maladie que lui paie son employeur. En querelles avec les autoritĂ©s politiques rĂ©gionales Ă cause de certains de ses reportages, elle vit dĂ©sormais avec la peur que l'administration publique fasse pression sur son employeur pour qu'on la congĂ©die. Si cela devait arriver, elle perdrait l’assurance maladie qu’elle dĂ©tient. Cette journaliste souffre d’une maladie grave et ne peut payer son traitement sans ladite assurance. Le traitement est tout simplement trop onĂ©reux.
Un exemple de dilemme d’ordre rĂ©dactionnel: le journaliste s’interroge sur ce qu’il peut Ă©crire et sur ce qu’il doit Ă©crire. Un journaliste expliquait qu’il a le devoir professionnel de couvrir les affaires policières sur son territoire. En revanche, il affirme avoir, en mĂŞme temps, un devoir de père, de fils et de citoyen. Il se questionne sur le message qu’il souhaite voir vĂ©hiculer par son mĂ©dia. Il y a, dans chacune des publications, un choix rĂ©dactionnel Ă©thique qui ne rĂ©pond pas nĂ©cessairement aux lois du marchĂ©. L’Ă©thique et le devoir de rĂ©serve commandent une nouvelle factuelle et objective. Le marchĂ© exige du sensationnalisme; un style qui permet de vendre le plus grand nombre de copies.
Le dilemme d’ordre moral est rĂ©current et se prĂ©sente sous plusieurs formes. Pour certains journalistes, il rĂ©side dans la cohabitation avec l’ennemi. Bien que la plupart des journalistes dĂ©noncent le fait que des reporters passent des accords avec le crime organisĂ© en Ă©change d’une certaine protection, tous comprennent que ce puisse ĂŞtre un mal nĂ©cessaire. La survie d’un journaliste peut en dĂ©pendre. Un journaliste de la ville de Mexico s’interroge quant Ă lui sur la valeur des vies et la catĂ©gorisation de l’humain. Il explique que, dans un monde idĂ©al, toutes les vies humaines ont une mĂŞme valeur. Par contre, il avoue avoir des difficultĂ©s Ă dĂ©celer une quelconque parcelle d’humanitĂ© chez des monstres qui tuent et dĂ©capitent. Le journaliste perd alors, lui-mĂŞme, un peu de son humanitĂ©. Il en vient Ă catĂ©goriser la valeur des vies. Certaines vaudraient moins que d'autres.
Les raisonnements
Les dilemmes se résolvent grâce au raisonnement. Ce dernier se présente sous plusieurs formes. Il peut être instinctuel, normatif, stratégique ou éthique. Les deux derniers ont été les plus utilisés par les participants à ma recherche.
Un journaliste enlevĂ© dans le nord du Mexique par des membres du Cartel du Golf a mis en place les Ă©lĂ©ments menant Ă sa libĂ©ration. Le raisonnement stratĂ©gique l’a sauvĂ©. Il avait Ă©tĂ© kidnappĂ© alors qu’il travaillait sur des reportages liĂ©s au narcotrafic et Ă la corruption des administrations publiques dans le nord de la RĂ©publique. Il explique « Tout s’est rĂ©glĂ© de l’intĂ©rieur, nous avons mis en place des conditions favorisant notre libĂ©ration […], il n’y avait plus de marche arrière. Ils Ă©taient rendus Ă dĂ©cider qui allait tuer qui… ». Il a donc nĂ©gociĂ© sa sortie. Il n'a jamais eu la certitude d'une fin positive pour lui. Mais, il a tranquillement montĂ©, pièce par pièce, l’argumentaire qui lui a Ă©tĂ© salutaire.
Le raisonnement éthique est une délibération interne. C'est un exercice où l'on pondère les différents éléments d'une situation. Durant cette délibération, l'individu détermine l'impact sur autrui des actions envisagées et se demande aussi si lesdites actions sont moralement acceptables. Un journaliste qui reçoit de l'information privilégiée et qui hésite à l'utiliser met à profit le raisonnement éthique. Il se demande si cette information est vérifiée et si elle a été obtenue de manière légitime. Cette information permet-elle de soutenir une juste cause ou risque-t-elle de nuire à des innocents?
Le raisonnement instinctuel fait appel Ă l'expĂ©rience passĂ©e. Il mène Ă une prise de dĂ©cision rapide dans le but de protĂ©ger l'essence mĂŞme de l'individu : son intĂ©gritĂ© physique, morale et spirituelle. Quand on entend « j'ai jouĂ© profil bas…», c'est très souvent parce que l'individu fait appel Ă l'instinctuel Ă titre de rĂ©ponse immĂ©diate Ă une situation dangereuse. Sa position pourra se nuancer par la suite.
Le raisonnement normatif se penche sur la relation entre la fin et les moyens. L'individu en recherche de solution revisite de vieux souvenirs et des situations similaires vécues par le passé. Il intègre l'expérience, les connaissances théoriques acquises et l'information disponible sur la situation à laquelle il fait face. Il s'agit d'un processus qui s'impose lorsque le décideur a le luxe du temps; lorsqu'il n'est pas sous une pression immédiate.
RĂ©sultat
Tous les journalistes vivent des dilemmes. En revanche, les journalistes mexicains couvrant les activitĂ©s du crime organisĂ© ont des dilemmes particuliers. Ils gravitent principalement autour de la protection de l’intĂ©gritĂ© physique et de la vie. Ă€ ce titre, l’Ă©tude est concluante et l’approche des dilemmes est rĂ©vĂ©latrice. Un peu comme l’industrie pour laquelle il travaille, le journaliste est aux prises avec des dilemmes de divers ordres: managĂ©rial, Ă©conomique, rĂ©dactionnel, Ă©thique et moral. Les catĂ©gories de dilemmes ne sont donc pas exclusives Ă l’industrie.
Les participants parlent des dangers auxquels ils font face au quotidien. Ils en parlent comme s’il s’agissait d’une rĂ©alitĂ© difficile Ă saisir ou Ă palper. Ils recherchent les signaux d’alarme indiquant le danger. Ils sont souvent la première manifestation du dilemme. Ils utilisent ensuite le raisonnement, la plupart du temps Ă©thique ou stratĂ©gique, pour espĂ©rer faire dĂ©boucher l'Ă©vĂ©nement sur une fin positive.
Ă€ voir aussi:
Dans l’ombre des Ă©coutes tĂ©lĂ©phoniques: l’Australie et l’imputabilitĂ© de ses mĂ©dias
L’imputabilitĂ© des mĂ©dias face aux attentes du public nĂ©erlandais
info@cjf-fjc.ca | |
77 Bloor St. West, Suite 600, Toronto, ON M5S 1M2 | |
(437) 783-5826 | |
Charitable Registration No. 132489212RR0001 |
Founded in 1990, The Canadian Journalism Foundation promotes, celebrates and facilitates excellence in journalism. The foundation runs a prestigious awards and fellowships program featuring an industry gala where news leaders…
â’¸2022 The Canadian Journalism Foundation. All Rights Reserved.
powered by codepxl