Par Marie-Pier Duplessis & Marie-Pier Tondreau, étudiantes à l'Université Laval
Par Marie-Pier Duplessis & Marie-Pier Tondreau, étudiantes à l'Université Laval
D’un côté, des étudiantes en journalisme posent légèrement vêtues pour un calendrier encensant l’homme fort de la Russie, Vladimir Poutine. De l’autre, des futures journalistes posent bâillonnées et dénoncent la conduite du gouvernement en demandant: «Qui a tué Anna Politkovskaïa? » Deux calendriers, deux façons de pratiquer le journalisme, un régime autoritaire. Survol de la situation des journalistes en Russie, où la liberté de presse est étouffée.
La Russie est un pays où exercer le métier de journaliste semble des plus dangereux. Combien d’agressions et de meurtres de journalistes ont fait la manchette dans la dernière décennie? La journaliste du Novaïa Gazeta, Anna Politkovskaïa assassinée dans son immeuble en octobre 2006, est devenue un symbole de la lutte pour la liberté de presse en Russie.
Elle dénonçait dans ses articles la violation des droits de l’homme par les forces au pouvoir en Tchétchénie, une région de la poudrière caucasienne. Quatre ans après son meurtre, personne n’a encore été incriminé, à l’instar de bien d’autres dossiers concernant les journalistes. Anna Politkovskaïa fut la 21 journaliste russe assassinée depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000. Reporters sans frontières en dénombre six autres depuis (un en 2008 et cinq en 2009).
Selon Frédérick Lavoie, journaliste indépendant québécois qui exerce son métier en Russie, il faut faire attention quand on entend ce genre de statistiques qui associent arbitrairement l’homme fort de la Russie avec les assassinats de journalistes en fonction. «Jusqu’à preuve du contraire, moi je ne crois pas que ce soit lui qui ait commandé ces meurtres».
Toutefois, le journaliste québécois laisse à Vladimir Poutine une part de responsabilité indirecte. «Sa responsabilité en tant que président était de faire de la Russie un État de droit, c’est-à-dire faire en sorte que les lois soient respectées, mais ce n’est pas toujours pas le cas. Les criminels tuent des journalistes, mais ils ne sont pas condamnés».
Après l’agression du journaliste du Kommersant, Oleg Kachine, en novembre dernier, quelque 500 militants de même que des organisations internationales ont fait pression sur le président actuel, Dmitri Medvedev, pour que justice soit faite envers les journalistes. Medvedev a réagi en assurant que les personnes impliquées dans de tels actes devaient être punies.
Un discours qui détonne de celui de son prédécesseur, Vladimir Poutine, qui avait déclaré au sujet d’Anna Politkovskaïa que sa «capacité d'influence sur la vie politique du pays était extrêmement insignifiante» et que son «meurtre nui[sait] plus à la Russie et aux pouvoirs en Russie et en République de Tchétchénie […] que ses publications». Ces propos illustrent bien la banalisation du cas des journalistes opprimés en Russie par la tête dirigeante du Kremlin.
Propagande pro-Kremlin omniprésente
Hormis la violence commise envers les journalistes, il existe une autre raison pour laquelle la presse n’est pas libre en Russie : la télévision. «Le nerf de la guerre en information, c’est la télévision. C’est par là qu’on réussit à toucher la majorité de la population», observe Frédérick Lavoie. Pour cette raison, ce média est la cible principale du Kremlin pour manipuler l’opinion publique.
Tel que signalé par le European Journalism Centre, les trois principaux canaux de télévision russes (Rossiya, Pervyj Kanal et NTV) appartiennent en totalité ou en partie au gouvernement. De plus, cinq stations se sont ajoutées à la liste des chaînes fédérales en 2007, soit Pyatyj Kanal, Kultura, Sport, Vesti et Bibigon.
Ainsi, non seulement le gouvernement contrôle les chaînes généralistes et d’information en continu, mais il s’impose également dans les autres sphères de la télévision, tels le sport, les émissions pour enfants et la vie culturelle. Il peut donc y diffuser aisément son message et choisir ce que la population doit savoir ou non.
Comme le soutient le journaliste québécois, il existe néanmoins «sur le câble et sur le satellite, […] des chaînes qui sont un peu plus critiques, mais elles n’ont pas une portée assez grande pour avoir une influence», explique Frédérick Lavoie.
Des médias indépendants qui résistent
Malgré la pensée dominante démultipliée un peu partout dans la médiasphère, certains médias indépendants résistent à la propagande. Outre le journal Novaïa Gazeta, on retrouve, dans le bastion de l’opposition politique, la radio Ekho Moskvy (Écho de Moscou).
«Dans l’absolu, il y a quand même une liberté de presse ici», constate Frédérick Lavoie. «Dans les journaux, des choses critiques, il y en a plein. On rit du président, on rit du premier ministre, on rit de tout le monde, on les critique, on montre ce qu’ils font de pas correct».
Seulement, la presse indépendante et les idées qu’elle soulève ont une portée très limitée. Par exemple, l’Écho de Moscou rejoint près d’un million d’auditeurs dans la capitale dans un marché d’environ 15 millions de personnes. Une influence encore plus isolée à l’échelle nationale, avec un total de 3 millions d’auditeurs dans un pays qui compte au-dessus de 140 millions d’habitants. Quant au Novaïa Gazeta, ce trihebdomadaire est tiré à seulement 325 000 exemplaires.
Les médias critiques, qui ne disposent pas d’une plateforme adéquate, rejoignent surtout les gens les plus éduqués, la masse populaire se limitant à la télévision comme source d’information. «C’est pour cela que les manifestations rejoignent très peu de gens en Russie», note le journaliste québécois.
Étant donné le maigre poids de la presse indépendante sur l’influence politique, les autorités peuvent faire fi de leurs critiques, puisqu’elles ne ressentent pas la pression du public, qui est tout simplement mal informé.
Frédérick Lavoie fait la comparaison avec le premier ministre du Québec Jean Charest qui est sommé de créer une commission d’enquête sur la construction. Bien que celui-ci résiste toujours aux pressions du public et de l’opposition, il ne peut pas les ignorer. «Disons qu’un cas similaire se passerait en Russie, les autorités pourraient juste l'ignorer et ne rien faire puisque la télévision n’en ferait pas état».
Suivre la vague ou aller à contre-courant?
L’incident des deux calendriers offerts par des étudiantes de journalisme à l’occasion de l’anniversaire de Vladimir Poutine, le 7 octobre 2010 – qui correspond également au quatrième anniversaire de la mort d’Anna Politkovskaïa – représente bien les deux idéologies de la pratique journalistique en Russie. Soit on accepte un poste de journaliste sur une chaîne contrôlée par le gouvernement comme n’importe quel autre travail qui permet de bien gagner sa vie, soit on refuse de se soumettre à la propagande et on dénonce les côtés obscurs du pouvoir en acceptant de vivre dans des situations précaires.
À ce sujet, Anne Nivat mentionne dans son livre Les médias en Russie que certaines de ses connaissances du milieu journalistique se justifient d’écrire des articles de complaisance en avouant tout simplement : «Croyez-vous que je puisse nourrir ma famille avec 50 dollars par mois ?» Dans ce genre de situation, il est plutôt difficile de demander à ces journalistes d’être d’une moralité irréprochable.
«En Russie, actuellement, c’est beaucoup plus avantageux d’encenser le pouvoir, car tu as bien plus de chances d’avancement dans ta carrière. Cela dit, d’une certaine façon, tu vends un peu ton âme», observe Frédérick Lavoie. «C’est un peu comme accepter d’être relationniste pour une compagnie de pétrole. Les gens qui acceptent ces boulots-là ne sont pas constamment dans un dilemmeéthique puisque s’ils ont accepté de faire ça, c’est qu’ils pensent que c’est bien».
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