Le journalisme est en pleine effervescence depuis des années. On parle de changements majeurs, de virage, de mutation, de crise et même de révolution. Les « tisserands du 4e pouvoir » sont en pleine tourmente. Le débat baigne notamment dans un maelstrom métajournalistique confondant.
Dans ce tourbillon de leitmotivs émergent des tendances qui, même si elles sont parfois paradoxales, peuvent s’avérer utiles pour définir le journalisme d’aujourd’hui : surabondance de nouvelles, polarisation des thèmes, fugacité de l’information et multiplication des formats. Dans le contexte de cette (r)évolution, les uns – les journalistes – tentent d’ajuster la production de leurs contenus, alors que les autres – le public – adoptent de nouveaux comportements.
D’une ère à l’autre
D’entrée de jeu, il importe de préciser que le grand brassage actuel n’est pas un phénomène exceptionnel. En effet, l’histoire est traversée de nombreux épisodes semblables. Pensons par exemple à l’avènement de la radio ou de la télévision, ou encore, bien avant, à celui de l’imprimerie. Cette fois-ci, les piliers du temple des communications sont ébranlés par le numérique.
Les journalistes et le public doivent s’adapter aux mutations culturelles et informationnelles induites au premier chef par le Web, mais aussi par toutes les autres technologies facilitant la transmission rapide de nouvelles. Dans cette mouvance, la communication s’effectue plus que jamais dans les deux sens et, de ce fait, on assiste de plus en plus à un journalisme dit participatif.
Les mêmes nouvelles en boucle
Le public croule sous l’information. Selon Influence Communication, les Québécois sont exposés à plus de 7000 éléments de nouvelles par jour. Sont-ils pour autant plus ou mieux informés? Pas nécessairement, et ce, en raison de plusieurs facteurs.
Ainsi, malgré l’abondance de nouvelles, on observe qu’il y a une certaine uniformisation de l’information. Sans doute pour ne pas être « hors beat », les médias généralistes accordent sensiblement la priorité aux mêmes sujets, à quelques variantes près. Qui plus est, l’angle de traitement est souvent le même.
En moyenne, au téléjournal de fin de soirée, on retrouve 8 nouvelles sur 18 communes à TVA et à la SRC. Plusieurs de ces même nouvelles sont reprises le lendemain matin dans la presse écrite et les bulletins radio. Malgré une fidélisation à la baisse, les grands médias généralistes, faut-il le rappeler, constituent encore la principale source d’information du plus grand nombre.
Ce phénomène de polarisation se reflète dans la production des contenus journalistiques. Des données compilées récemment par Influence communication indiquent en effet une diminution des contenus originaux au Journal de Montréal et à La Presse. Ces deux quotidiens ont un recours plus fréquent au matériel des agences de presse.
Le public a tout de même la possibilité de s’alimenter à d’autres sources d’information. Il y a celles en émergence, comme les portails de nouvelles sur Internet, les blogues de journalistes ou d’experts ; et il y a celles plus classiques, comme les magazines spécialisés, les émissions d’actualité et les médias alternatifs. Si elles sont nombreuses, ces sources ne garantissent pas pour autant une diversité de l’offre à savoir une plus grande variété de sujets. Certains sites de nouvelles sur Internet, par exemple, ne font que du repiquage à partir des grands médias. Les mêmes nouvelles y circulent en boucle sans véritable valeur ajoutée. Souvent, il y a aussi convergence de thèmes dans les magazines spécialisés et les émissions d’actualité.
Séparer le bon grain de l’ivraie
Dans leur quête d’information, les Québécois se butent aussi à un autre écueil, plus insidieux celui-là. Dans l’ensemble hétéroclite des sources d’information, toutes ne sont pas d’égale qualité en matière de rigueur journalistique. C’est particulièrement vrai pour les genres participatifs. Les contenus se construisent à plusieurs et de manière très rapide. Les « libertés d’expression » journalistique et citoyenne se côtoient comme jamais. Avant le Web, les « lignes ouvertes » à la radio et à la télévision ainsi que « la lettre du lecteur » dans la presse écrite demeuraient, somme toute, marginales. De plus, elles présentaient l’avantage d’être facilement associées à l’opinion.
L’avènement des blogues a changé la donne. Aujourd’hui, sur la Toile, il est de plus en plus difficile de démêler les informations validées de celles qui ne le sont pas. Dans une entrevue accordée à Lise Millette, publiée dans Le Trente du mois de novembre dernier, Michel Venne admet que nous vivons un drôle de paradoxe à cet égard. « La société québécoise est parmi les plus scolarisées du monde. Une partie de la population peut faire cette distinction [entre une information vérifiée et validée de celle qui relève de la rumeur]. En même temps, de 30 à 40 % des gens sont analphabètes et ont du mal à lire et à écrire des choses simples. Ces personnes ne distinguent pas l’information vérifiée de la rumeur et des insignifiances. »
Tempus fugit
Les comportements des consommateurs de nouvelles sont aussi motivés par un autre agent important : le temps.
Si le volume des nouvelles est en croissance, leur espérance de vie, elle, est en chute libre. Les études effectuées par Influence Communication montrent qu’environ 85 % des nouvelles diffusées disparaissent en 24 heures ou moins, c’est 16 % de plus qu’il y a dix ans. Une constante cependant : il n’y a toujours que 24 heures dans une journée! Très souvent, par manque de temps, le public « surfe sur l’info » pour n’acquérir qu’une connaissance horizontale. Même sur un dossier de fond, comme la grippe A H1N1, qui tient le pavé pendant des semaines, les consommateurs de nouvelles se forgent une opinion-minute au gré de l’argumentaire médiatique du jour.
Selon André Joannès, auteur du livre Le journalisme à l’ère électronique, « il faut […] imaginer des individus qui se dispersent dans les innombrables activités de communication. L’inconstance sera le comportement le plus répandu dans une population qui se verra constamment proposer de nouveaux centres d’intérêt. » Cela n’est pas banal. Dans un environnement où les nouvelles se télescopent, il y a lieu de s’interroger sur ce que le public arrive à retenir. D’après le psychologue cognitiviste Georges Sperling, lorsqu’une personne est exposée à deux messages en même temps, elle a tendance à les traiter de manière syncrétique, diminuant ainsi la compréhension de chacun d’eux. Conséquence : la dilution du message fait en sorte que les racines de l’opinion publique deviennent de plus en plus ténues.
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