Réunis à l’Uqàm la semaine dernière à l’invitation du Centre de recherche interdisciplinaire sur la communication, le Gricis, plusieurs chercheurs ont dressé un portrait pas très enviable du journalisme en ligne. Précaires, sédentaires, corvéables à merci, déconsidérés par ceux qui œuvrent sur d’autres supports, ils entrent également en compétition avec tous les internautes, qui génèrent gratuitement du contenu.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
Réunis à l’Uqàm la semaine dernière à l’invitation du Centre de recherche interdisciplinaire sur la communication, le Gricis, plusieurs chercheurs ont dressé un portrait pas très enviable du journalisme en ligne. Précaires, sédentaires, corvéables à merci, déconsidérés par ceux qui œuvrent sur d’autres supports, ils entrent également en compétition avec tous les internautes, qui génèrent gratuitement du contenu.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
«Sur internet, il y a d’un côté le journaliste, souvent freelance, qui travaille depuis chez lui et tente tant bien que mal de se faire payer décemment, et de l’autre toute une masse d’internautes, qui elle aussi produit du contenu, donc génère de la valeur pour les entreprises qui l’hébergent et qui vont pouvoir capitaliser dessus en termes de revenus publicitaires, explique Nikos Smyrnaios, enseignant à l’Université de Toulouse en France. Produire une vidéo pour Youtube, c’est du travail, publier du contenu sur Facebook, c’en est aussi. Or les gens ne trouvent aujourd’hui pas complètement anormal de donner gratuitement le fruit de ce travail à des sociétés qui se font de l’argent avec en vendant de l’audience au marché publicitaire. C’est une véritable concurrence pour les journalistes professionnels qui œuvrent sur le web.»
Nikos Smyrnaios revient à la définition marxiste du travail qui consiste à extraire de la valeur.
«Il y a aujourd’hui une inversion de stigmate chez les gens qui travaillent sur internet, estime-t-il. Ils sont en général précaires, flexibles et en totale abnégation vis-à-vis du média sur lequel ils publient, mais ces contraintes, qui étaient autrefois subies, deviennent des valeurs revendiquées! Il y a une véritable confusion entre émancipation et aliénation.»
Information low-coast
Et ils en redemanderaient presque, eux qui utilisent leur profil personnel sur les réseaux sociaux, eux qui mettent donc leur popularité et leur crédibilité, leurs amis et leurs abonnés au service de leur entreprise en y faisant la promotion de leur travail.
«Le web est un laboratoire, estime Nikos Smyrnaios. Faute de moyens, tous les problèmes y sont exacerbés. Résultat, on y produit une information low-coast, qui s’apparente plus à de la réécriture et à du copier-coller. Bien sûr, il y a des exceptions, Médiapart étant sans doute l’une des plus emblématiques. Mais dans la plupart des cas, soit on a affaire à des journalistes qui travaillent comme à l’usine dans un esprit de rationalisation des tâches, soit on a du contenu qui d’une manière ou d’une autre arrive gratuitement.»
C’est le Huffington Post qui fait appel à des centaines de blogueurs bénévoles à travers le monde par exemple, explique le chercheur. Blogueurs qui ne sont pas même consultés lorsque le média est racheté par AOL plusieurs centaines de millions de dollars… alors même que ce sont eux qui en ont généré toute la valeur.
Spécialité de seconde zone
«Il y a des pratiques et un champ de compétences communs entre les journalistes qui travaillent sur les supports traditionnels et ceux qui sont sur internet, concède Yannick Estienne, docteur en sciences de l’information et de la communication et auteur du Journalisme après internet. Mais il s’agit cependant d’une véritable nouvelle spécialité, qui n’est d’ailleurs pas très sexy. Elle se retrouve en bas de la hiérarchie des supports, elle n’attire pas les étudiants, elle est considérée comme de seconde zone.»
Un tableau bien sombre si l’on considère que de plus en plus de journalistes seront amenés à travailler sur ce support.
«Toutefois la vision évolue, admet Yannick Estienne. Parce que l’offre éditoriale évolue, parce que des journalistes venus des médias traditionnels collaborent de plus en plus avec les journalistes en ligne. Parce que des sites comme Médiapart ou Rue89 leur ont donné de la crédibilité, parce qu’il y a de nouveaux champs à explorer, comme le journalisme de données, qui n’existerait tout simplement pas sans internet. Mais au moment où le journalisme en ligne commence à gagner du crédit, il se dilue dans le journalisme en général avec la convergence des supports.»
Du clic et du buzz
Sédentarité, polyvalence, vitesse, telle serait encore cependant selon lui la réalité du journaliste en ligne, qui doit toujours être sur plusieurs opérations en même temps, multiplier les compétences dans le domaine du multimédia tout en étant à l’écoute de sa communauté, puisque celle-ci lui parle directement et que de ses commentaires, découle le financement du média via la publicité.
«Le critère d’excellence, c’est la capacité à être le premier à mettre une information la meilleure possible en ligne, affirme-t-il. Le cycle de l’information s’accélère. Oui, il y a aujourd’hui de très bons webdocs et des sites riches, performants, de qualité. Mais ce sont des cache-misères. La réalité du journalisme en ligne, c’est encore le copier-coller et de l’information pour faire du clic et du buzz. Ce n’est d’ailleurs pas sans conséquences sur le psychisme des journalistes»
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