Le scoop est dans les chiffres

Collaboration
spéciale de Geneviève Gagné au Festival International du
Journalisme à Pérouse en Italie

À
deux jours du vote, les candidats aux élections fédérales
exécutent leur dernier sprint en répétant pour la énième fois
leur liste de promesses remplies de statistiques et de pourcentages.
Des chiffres que les journalistes doivent traduire à l’ensemble de
la population. «Si les reporters
n’utilisent pas les statistiques comme il faut, cela veut dire que
les politiciens peuvent faire ce qu’ils veulent avec ces chiffres»,

explique le professeur Stephen Doig à l’occasion du Festival
International du Journalisme
, qui avait lieu à Pérouse en Italie.

Le
journalisme de précision, ou journalisme de données, est une des méthodes pour interpréter ces
données. Ce type de journalisme, aux antipodes du journalisme
frénétique et à haute vitesse, prêche par les mathématiques et
les statistiques pour tendre le plus possible vers l’objectivité
et la transparence. «Le journalisme de précision permet de
découvrir des choses qui normalement resteraient méconnues de la
population»,
explique Stephen
Doig ancien journaliste au journal Miami
Herald
qui
enseigne aujourd’hui le journalisme assisté par ordinateur à
l’Université d’Arizona.

Comment
ça marche? Il s’agit simplement de décoder scientifiquement la
signification des chiffres en sachant utiliser correctement un outil
banal – mais ô combien utile – le logiciel Excel. Grâce à
cette méthode, Stephen Doig a notamment reçu le Prix Pulitzer en
1993 pour ses recherches sur les dommages de l’Ouragan Andrew. Plus
récemment, lors des élections américaines de 2000, ses analyses
ont provoqué un scandale politique.

Stephen
Doig, qui travaillait à l’époque pour le Miami Herald,
avait alors recueilli un à un les bulletins de votes considérés
comme non valides dans l’État de la Floride. Il les avait ensuite
analysés et avait découvert que le candidat démocrate, Al Gore,
avait recueilli 24 000 votes de plus que le candidat républicain,
Georges W. Bush. Selon ses calculs, le candidat démocrate aurait
donc dû remporter les élections. L’ancien vice-président
américain Dick Cheney avait qualifié son travail de «vaudou
statistique».

Allergiques
aux chiffres

Malgré
les miracles du «slow news» en journalisme, la mauvaise
réputation des maths ne fait pas du journalisme de précision une
pratique populaire. «Les journalistes ne veulent pas utiliser
cette méthode de travail parce que ça semble ennuyeux, mais il faut
changer nos façons de faire et poser différentes questions»
,
fait valoir l’éditorialiste du quotidien espagnol El Mundo,
José Luis Dader Garcias.

Selon
lui, le journaliste se doit de jouer le rôle de traducteur des
données et, ce, en sachant manier les chiffres. Une compétence qui
doit s’apprendre à l’université, parce qu’«il ne faut
pas penser que le métier du journaliste écrit se limite à la
littérature ou à des matières qui n’ont rien à voir avec les
mathématiques».

Une
opinion partagée par Philip Meyer, un des pionniers du journalisme
de précision et auteur d’un livre sur le sujet. Il a expérimenté
cette pratique pour la première fois dans les années 1960, lors du
Mouvement des droits civiques aux États-Unis en questionnant une
foule de personnes pour prendre le pouls réel de la situation et
ainsi contourner la paresse journalistique qui s’en tient qu’aux
témoignages de ceux qui parlent le plus fort.

D’après
l’expérience de Meyer, cette technique joue un rôle encore plus
essentiel aujourd’hui : «Dans l’ère de la surabondance de
l’information où nous sommes accablés par une infinité de
données incompréhensibles et peu analysées, le JP est un outil qui
permet d’aller à l’essentiel de l’information, sans oublier
que cette méthode permet d’ajouter une plus-value au travail du
journaliste.»

Certains
journalistes argumenteront que les facteurs temps et argent les
empêchent de développer une analyse de fond sur un sujet en
particulier. Il faut bien sûr faire la part des choses. Ce ne sont
pas toutes les nouvelles qui doivent subir la même attention. Il
faut simplement savoir dans quelles circonstances cet exercice est
nécessaire. Stephen Doig souligne que c’est un travail de longue
haleine, mais qui amène à de meilleurs résultats.

Voir aussi:

Élections 2011: l’art du dialogue 2.0