«Le plus grand danger, c’est l’imprévisible»

Projet J s’est entretenu avec Martin Forgues ce matin alors même qu’il bouclait ses bagages. Le journaliste s’envole ce soir pour l’Afghanistan après avoir couvert en janvier dernier l’opération militaire française au nord-Mali, région d’Afrique dans laquelle deux journalistes français de RFI ont été assassinés le week-end dernier.

Projet J s’est entretenu avec Martin Forgues ce matin alors même qu’il bouclait ses bagages. Le journaliste s’envole ce soir pour l’Afghanistan après avoir couvert en janvier dernier l’opération militaire française au nord-Mali, région d’Afrique dans laquelle deux journalistes français de RFI ont été assassinés le week-end dernier. Il nous parle de son expérience.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann

Projet J: À quoi avez-vous pensé lorsque vous avez appris la mort des deux journalistes?

Martin Forgues: J’ai ressenti de l’indignation parce qu’assassiner un journaliste, c’est un symbole grave d’atteinte à la liberté de la presse. Faire son travail, et être enlevé et assassiné froidement, c’est glaçant. Ensuite, c’est la rapidité avec laquelle ça s’est passé qui me surprend encore. D’ordinaire, lorsque des groupes terroristes kidnappent des occidentaux, journalistes ou autres, c’est pour demander une rançon. Est-ce un enlèvement qui a mal tourné? Un véritable assassinat? Il reste encore beaucoup de questions autour de cette affaire. Mais c’est sûr que ce que ça rappelle aussi, c’est que le journalisme de guerre, oui, c’est dangereux.

À tel point que Marie-France Bazzo, dans C’est pas trop tôt, hier matin, posait la question de savoir si les journalistes devaient continuer à aller dans ces zones de guerre…

Bien sûr qu’on doit continuer à y aller! Cette question revient toujours lorsqu’il y a de tels drames, plutôt du côté de la population. Je suis un peu étonné qu’une journaliste de la trempe de Marie-France Bazzo la pose. C’est frustrant d’entendre ça. Il faut d’ailleurs arrêter de victimiser les journalistes de guerre. Nous savons ce que nous faisons, nous prenons nos précautions et nos responsabilités, nous sommes conscients des risques. Mais il y a quelque-chose qui est plus fort que tout, c’est de raconter les histoires qui se déroulent là-bas. Ça fait partie de notre mission. Et les populations méritent qu’on le fasse.

Quelles précautions vous prenez lorsque vous partez dans ces zones?

Le Mali, c’était mon premier terrain de guerre en tant que journaliste. Mais je suis un ancien soldat, et j’ai beaucoup appris de cette première carrière. Règle numéro un: toujours laisser savoir à un tiers où tu te trouves et lui fournir un itinéraire quotidien le plus précis possible. Je donne même toujours ces informations à plusieurs personnes pour ma part. Être en contact quotidien avec l’ambassade également. Ce n’est pas anecdotique. Au Mali, j’étais pris dans le travail et je ne l’ai pas contactée pendant deux jours. C’est ma copine qui a reçu un coup de téléphone, ici à Montréal, pour l’avertir que je n’avais pas donné de nouvelles depuis quarante-huit heures. Elle m’a ensuite appelé pour savoir si tout allait bien.

Est-ce que les risques sont encore plus grands pour les pigistes, ce que vous êtes?

Le danger, c’est de couper dans les précautions, faute de moyens. Un fixeur, ça peut coûter jusqu’à 200 dollars par jour, il faut avoir le budget. Un téléphone satellite, ça peut être bien pratique en cas de problème, pour communiquer. Mais ça coûte cher. C’est sûr que si tu pars sans avoir vendu des sujets à une publication, tu as moins de soutien logistique sur le terrain, pas d’assurance rapatriement, etc. Il faut y aller dans les meilleures conditions possibles et c’est ce que je fais. Mais il y a des choses auxquelles les jeunes journalistes ne vont pas penser. Pour ma part, je suis passé par le socio-financement pour m’acheter un gilet pare-balle, par exemple.

Mais le risque est toujours là… les journalistes de RFI étaient expérimentés et avaient le soutien d’une grande rédaction…

Le danger est partout et il faut toujours être vigilent surtout sur ces zones où le front n’est pas très défini. En Afghanistan, je vais me tenir loin des postes de police parce qu’ils sont souvent la cible d’attaque. Au Mali, étant donné que l’armée française était sur place et qu’il y avait une véritable opération militaire, nous, les journalistes, étions plus en sécurité qu’aujourd’hui. Cela dit, il commençait à y avoir des mines sur le bord des routes et même à Bamako, la capitale, située à des milliers de  kilomètres des régions du nord, j’aurais pu me faire repérer et kidnapper. L’ennemi est partout. En fait, le plus grand danger, c’est l’imprévisible.

La situation est donc plus risquée aujourd’hui au Mali…

Lors des grandes opérations militaires, les milices sont occupées à se battre et ont donc moins de temps pour les kidnappings. Aujourd’hui, les troupes françaises ont été remplacées par des casques bleus et la situation est beaucoup plus floue. Le nord-Mali est une zone très dangereuse même si on en entend finalement peu parler. Il y a régulièrement des attentats suicides à Tombouctou et Kidal. Tu peux prendre toutes les précautions du monde, si ton numéro est tiré, il n’y a pas grand chose à faire. D’où l’intérêt d’avoir un fixeur de confiance aussi… quelqu’un qui ne va pas aller te vendre directement à un groupe terroriste.

Et comment peut-on être sûr de son fixeur?

Par la bande! Je prends toujours un fixeur qui m’est recommandé. Les journalistes créent des groupes sur Facebook notamment pour se donner ce genre d’informations. Et on se parle beaucoup sur le terrain. Ce n’est pas parce que nos médias sont en compétition que nous le sommes, nous. Il y a une très grande solidarité dans la profession. Jamais, je ne me suis fait refuser de l’aide. C’est humain, nous sommes en zone dangereuse.

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