Le flâneur du Caucase et de l’Asie Centrale.

Par Chantal Francoeur

Par Chantal Francoeur

Peintre de la circonstance. Observateur passionné. La méthode journalistique de Frédérick Lavoie, auteur d’Allers simples : Aventures journalistiques en Post-Soviétie, évoque le flâneur de Beaudelaire. Il s’agit d’être en immersion puis de témoigner de ce qu’on perçoit, ressent, collecte. Voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde. Le monde, ici, est la Biélorussie, l’Abkhazie, la Géorgie, l’Asie centrale et la Russie, que Lavoie a parcourues pendant quatre ans, de 2006 à 2010. Beaucoup de millage dans le corps et dans le clavier, ou le crayon. Beaucoup de billets d’avion aller simple.

Frédérick Lavoie nous décrit en détails ses aventures et ses mésaventures. Par exemple, son entrée incognito dans Gori, une ville occupée, où il faut déjouer la vigilance des soldats : « J’enlève mes lunettes, vide mes poches, ne gardant que mon passeport et quelques laris. […] J’avance sur le point piétonnier sans faire de bruit, avec l’assurance simulée de celui qui veut montrer qu’il sait où il va. » Une fois sur place il peut révéler ce qu’il découvre et expérimente. Contredire les « machines de propagande » qui peuvent mener à des « reportages erronés ou partiaux de médias occidentaux. »

Il revient sur son séjour en prison, à Minsk, en 2006. Séjour qui avait attiré l’attention des journalistes d’ici et fait « l’objet de débats » sur sa démarche journalistique : pour couvrir cette région du monde, il faut parfois taire sa fonction de journaliste. Avec des conséquences embarrassantes, mais qui permettent des rencontres à raconter. Ce que fait Frédérick Lavoie, qui livre aussi ses réflexions, toujours comme un flâneur qui veut tirer l’éternel du transitoire. Un exemple, à propos des réfugiés : « De manière générale, le réfugié est une mauvaise source d’information pour le reporter. […] Car le réfugié n’a souvent pratiquement rien vu. S’il est réfugié, c’est qu’il a préféré sauver sa vie à de voir sa mort. »

Cela semble moraliste? Le flâneur l’est, moraliste. Tout en offrant un « regard infiniment curieux, amoureux du divers, disposé à enrichir le 'commun' d'un 'nouveau' insoupçonné », comme le décrit la professeure et journaliste Géraldine Muhlmann, qui s’intéresse à la figure du journaliste flâneur (2004, p. 330). Le lecteur d’Allers simples peut tirer ses propres enseignements. Pour les journalistes qui rêvent d’être pigistes et de parcourir le monde, le chemin de Frédérick Lavoie offre matière à réflexion. Son parcours est à la fois enivrant et pénible. Il l’expose en toute transparence en puisant dans « des centaines de pages de notes, jetées sur papier le plus souvent à la fin de longues journées de découverte en terre nouvelle. »

Le concept de flâneur est lié à la modernité, aux métropoles, au cosmopolitisme. Ce ne sont pas tout à fait les caractéristiques des républiques de l’ex-URSS. L’image de flâneur colle tout de même au livre Allers simples : Aventures journalistiques en Post-Soviétie. Comme si Frédérick Lavoie voulait faire évoluer le concept. En offrant un exemple de persévérance et de conviction que ce type de journalisme a sa place.

 

Lavoie, Frédérick. (2012). Allers simples : Aventures journalistiques en Post-Soviétie. Chicoutimi, Canada : La Peuplade.

Référence : Muhlmann, Géraldine. (2004). Du journalisme en démocratie. Payot & Rivages : Paris, France.

Chantal Francoeur est professeure à l’école des médias de l’UQAM et membre du comité éditorial de ProjetJ.