Théodore Kouadio est journaliste scientifique à Fraternité Matin, le quotidien ivoirien proche du parti au pouvoir. Une passion de tous les jours, mais également un challenge pour celui qui croit ardemment à la science comme levier de développement.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
Théodore Kouadio souhaite tout de suite dissiper un malentendu: il pratique son métier avec toute l’indépendance dont il a besoin.
Théodore Kouadio est journaliste scientifique à Fraternité Matin, le quotidien ivoirien proche du parti au pouvoir. Une passion de tous les jours, mais également un challenge pour celui qui croit ardemment à la science comme levier de développement.
Par Hélène Roulot-Ganzmann
Théodore Kouadio souhaite tout de suite dissiper un malentendu: il pratique son métier avec toute l’indépendance dont il a besoin.
«C’est généralement la première question que l’on me pose lorsque je voyage hors du continent africain, précise-t-il. Alors autant la mettre tout de suite de côté: personne ne me dicte ce que je dois écrire ou pas dans mon article. Bien sûr, il arrive qu’on me raccroche au nez ou qu’on tente de me dissimuler la vérité. Mais n’ai-je pas entendu parler d’un de vos journalistes, ici au Québec, qui se serait fait vider d’un conseil municipal parce qu’il posait des questions un peu trop embarrassantes?»
Théodore Kouadio fait référence à Stéphane Tremblay de CIMT TV, qui s’est fait bousculé et saisir son micro par un conseiller municipal. Scène qui s’est déroulée le 3 juin dernier, alors même que le journaliste ivoirien se trouvait à Montréal, à l’invitation de l’Association des communicateurs scientifiques (ACS).
Un ton policé
Alors oui, il travaille pour le journal progouvernemental, et oui, l’éditorial préparé par le directeur de publication est toujours bienveillant vis-à-vis des décisions prises par le pouvoir en place. «Ça ne veut pas dire que je ne puisse pas écrire le contraire à l’intérieur, explique le journaliste. Du moment que je garde un ton policé…»
Sa solution anti-censure: avoir des preuves solides.
«Prenons l’exemple de l’accès à l’eau potable, explique-t-il. C’est une problématique énorme dans mon pays. Un véritable scandale. Les fonctionnaires ont tendance à le nier, ils tentent de dédramatiser la situation, à la décrire comme marginale. Si je fais des constations sur le terrain, que je multiplie les témoignages, que je prends des photos et que j’arrive avec tout ça lors de l’entretien, ils ne peuvent plus nier l’existence du soucis.»
Théodore Kouadio est aujourd’hui chef de service à la rédaction internet de son journal Fraternité Matin, après avoir été plusieurs années journaliste scientifique. Il contribue également au site scidev.net, média installé à Londres et dont le credo est de mettre la science au cœur du développement. Il a remporté plusieurs distinctions dont le prix Lorenzo Natali 2010, récompensant un journaliste engagé pour le développement, la démocratie et les droits de l’homme, ainsi que celui du meilleur journaliste d’Afrique de l’Ouest en 2008.
Passion et challenge
Rien ne le prédestinait pourtant à ce métier. Diplômé en management, il entre à la rédaction de Fraternité Matin, en attendant qu’une place se libère au marketing… c’était il y a 16 ans!
«J’ai été pris par la passion et le challenge, raconte-t-il. En tant que journaliste scientifique, nous pouvons vraiment faire évoluer la situation de nos compatriotes. Si les journalistes occidentaux se questionnent sur la présence d’eau ou non sur la planète Mars, moi, je regarde l’eau qui passe à côté de ma cour et je me demande comment faire pour qu’elle arrive dans mon robinet. Nous sommes très proches du peuple, tout en ayant assez de pouvoir pour faire bouger les ministres et les fonctionnaires.»
Et encore plus depuis l’arrivée de l’internet. «L’Afrique est en retard en tout, sauf dans les nouvelles technologies, affirme Théodore Kouadio. C’est un formidable outil pour nous, une ouverture, de la visibilité. Bien sûr, nous n’avons pas la force de frappe de CNN ou de Radio-Canada. Mais si n’importe qui dans le monde veut savoir ce que l’Ivoirien moyen pense de l’incarcération de Laurent Gbagbo [ndlr, l’ex-président ivoirien] au tribunal de La Haye, il n’ira pas lire l’AFP mais bien Fraternité Matin.»
Rôle d’éducation
Via les réseaux sociaux, les sujets qui préoccupent le peuple remontent également plus facilement. Et il est plus aisé de faire la promotion des articles, donc de diffuser des idées.
«Nous avons aussi un souci d’éducation, ajoute M. Kouadio. Avec les changements climatiques, notre saison des pluies, qui depuis des siècles revenaient chaque année à la même date, est complètement déréglée. Or, les paysans continuent à semer au même moment, ce qui a forcément un impact sur les récoltes. Via nos articles, petit à petit, ils changent leurs comportements, ils s’adaptent à la nouvelle réalité.»
S’il est pleinement épanoui dans son métier, Théodore Kouadio ne cache pas qu’il n’en va pas de même pour tous les journalistes ivoiriens. En tant que membre de la rédaction du quotidien proche du pouvoir, il jouit de moyens et d’un salaire que beaucoup lui envient. «C’est aussi ça le secret de ma liberté, estime-t-il. Je ne suis pas tenté de me faire corrompre. Mais, sans pour autant les juger, je ne peux pas en dire autant de tous mes confrères.»
Cet article est le premier d’une série de portraits de journalistes francophones partout dans le monde. Série qui mettra en lumière le contexte dans lequel ils travaillent, leurs problématiques propres ainsi que le dessein qui les anime.
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