La pression à publier serait le principal facteur de plagiat chez les journalistes

 

Note de lecture de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l'Université d'Ottawa

Par Carolane Gratton, étudiante à la maîtrise en communication à l'Université d'Ottawa

 

Note de lecture de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l'Université d'Ottawa

Par Carolane Gratton, étudiante à la maîtrise en communication à l'Université d'Ottawa

Il s’agit de la constatation que fait Norman P. Lewis, spécialisé en éthique journalistique, dans une recherche qu’il a menée avec Bu Zhong. L’article, publié dans le périodique Journalism & Mass Communication Quarterly, s'intéresse aux facteurs influençant l’attribution d'informations à des sources, par les journalistes.

Les chercheurs ont envoyé un sondage à 20 291 journalistes américains, avec un taux de réponse de 5 pour cent (soit 953 sondages). Le questionnaire abordait six facteurs reconnues, dans la littérature, pour affecter l’attribution d'informations à des sources. Ces facteurs sont : la fonction du journaliste (recherchiste, créateur de contenu, gestionnaires, etc.); son ancienneté; sa source d’information (communiqué de presse ou un autre média); son média d’appartenance (presse, télévision ou radio);  l’IInternet et finalement; ses normes personnelles et celles de son organisation.

Afin de déterminer si ces facteurs influencent réellement le respect de la norme déontologique, qui est de toujours attribuer la provenance d'informations, les auteurs se sont référés à l’échelle de mesure de l’intégrité de Schlenker. Celle-ci considère que tout individu fait preuve d’intégrité, mais que la flexibilité dans son application varie selon les besoins. L’échelle, composée de 18 questions, évalue le degré d’opportunisme et d’idéologie d’une personne. Cette étude émet l’hypothèse que plus une personne est considérée comme idéaliste, selon l’échelle de Schlenker, moins elle sera portée à tolérer des exceptions dans l’attribution des sources d’information.

Les résultats ont confirmé qu’en effet, tous les journalistes sondés se sont révélés en faveur de la norme d’attribution des sources, mais que certains étaient plus disposés que d’autres à y voir des exceptions.

Ainsi, les créateurs de contenu (premier facteur) se sont avérés plus enclins à accepter des exceptions que les gestionnaires. Quant à l’ancienneté du journaliste, plus celle-ci est importante, plus il s’oppose aux exceptions, y compris pour l’attribution à des communiqués de presse. Le troisième facteur (provenance de la source) a permis d'observer que les journalistes considèrent généralement moins important d’attribuer du contenu lorsqu’il provient d’un communiqué de presse, comparativement à celui provenant d’un collègue.

Pour ce qui est du type de médias, les journalistes de la radio sont portés à considérer acceptable de n’attribuer que les contenus à caractère exclusif, alors que les journalistes des autres médias s’y opposent. De plus, les journalistes de la presse non quotidienne semblent plus critiques que la majorité quant à la non-attribution d’un contenu exclusif qui n’est plus récent. Finalement, les journalistes télévisés se démarquent lorsqu’ils considèrent plus important d’attribuer l’information provenant d’un média national que celle provenant d’un média local.

Les résultats ont aussi indiqué que la décision de nommer ou non la source d'une information n’était pas avant tout affectée par l’éthique personnelles du journaliste. Il semblerait que la pression à publier, plus que les normes éthiques, l’Iinternet et la compétition, serait en cause lors d’exceptions à la norme de l’attribution. Les chercheurs expriment d’ailleurs leur inquiétude de voir ces exceptions devenir éventuellement la norme, puisque les journalistes subissent de plus en plus de pression à produire rapidement.

Quant à leur hypothèse de recherche, elle a été confirmée par l’utilisation de l’échelle de mesure de l’intégrité de Schlenker. Celle-ci a permis de mesurer le niveau d’idéalisme des journalistes et de le comparer à leur propension à déroger à la norme. Les résultats ont démontré qu’en effet, plus un journaliste est idéaliste, moins il est porté à accepter des exceptions.

Les auteurs soulignent que leurs résultats ne peuvent être généralisés, et que, selon eux, la situation globale est bien plus problématique. Ils expliquent leur position, entre autres, par le biais de désirabilité sociale dans les réponses données. Les auteurs expliquent aussi qu’un nombre important de répondants ont communiqué avec eux par la suite, pour démontrer leur appui, critiquer l’état actuel des choses ou en savoir plus sur les résultats de la recherche. Ils croient donc probable qu’une majorité de répondants soit plus idéaliste que les journalistes n’ayant pas répondu au sondage. Ainsi, leurs position ne sont peut-être pas représentatives de la réalité des autres journalistes.

Selon les auteurs, cette enquête contribue de façon intéressante à la recherche sur la prise de décision éthique des journalistes. Néanmoins, d’autres études portant sur les pratiques tangibles liées au plagiat et la question du journalisme en ligne sont nécessaires, l’utilisation des hyperliens comme moyen de référence restant controversée.

Face à ces résultats, les auteurs concluent à un besoin urgent pour la profession de définir clairement leurs normes d’attributions des sources, au lieu de se contenter d’une norme trop générale permettant trop d’exception. Ils considèrent que d’ici là, toute tentative d’enrayer le plagiat journalistique sera vaine.

Source : Lewis, P.Norman  et Zhong, Bu (2012) « The Root of Journalistic Plagiarism: Contested Attribution Beliefs » Journalism & Mass Communication Quarterly, 90 (1), 148–166.