La Cour d’appel du Québec a tranché : les actionnaires sont en droit de connaître la situation financière d’une entreprise et ses filiales. Ainsi, Power Corporation
devra divulguer les résultats financiers de sa filiale Gesca,
confirmant ainsi le jugement de la Cour supérieure. Le lendemain de
cette nouvelle, Guy Crevier, éditeur de La Presse a fait parvenir une lettre à ses syndiqués, leur annonçant qu’ils ont trois mois pour parvenir à une entente, sans quoi, La Presse et Cyberpresse mettront fin à leurs activités.

La nouvelle a l’effet d’une bombe. La partie patronale assure que «son modèle d’affaires actuel n’a aucune chance de survivre», que «La Presse est de plus en plus menacée» et qu’il faut «absolument accélérer le rythme des négociations», sans quoi, le 1er décembre, les activités seront suspendues.

Gesca s’engage également à fournir, dans un intervale de quatre semaines, une série de documents : les états financiers de 2004 à 2007, les revenus publicitaires de 2008, le modèle d’affaire 2009-2013 et des informations sur les fonds de pension, notamment. La liste est importante. L’échéancier beaucoup moins. Les données seront remises le 1er novembre et l’ultimatum prendra fin le 1er décembre.

De l’avis de la présidente du syndicat de rédaction, Hélène De Guise, la nouvelle étonne peu. Elle affirme qu’il n’y a pas de choc, mais que la manière de procéder n’en est pas moins déplorable. Les entités syndicales, au nombre de huit, se disent prêtes à négocier et ont remis un calendrier à la partie patronale. Cela dit, il faudra attendre le temps nécessaire puisque l’objectif est d’aboutir à une entente négociée.

Dans le milieu journalistique, le spectre de voir la presse s’éclipser ébranle. Daniel Giroux, secrétaire général du Centre d’études sur les médias, affirmait à La Presse Canadienne que cette nouvelle s’inscrit dans une trame de fond difficile pour l’ensemble des quotidiens, mais que cette annonce ressemblait davantage à un geste destiné à dire aux syndiqués que le temps presse et que la situation est sérieuse.

Sérieuse… en effet. En juin, l’entreprise annonçait devoir réduire ses coûts de 26 millions $. Une partie des budgets a été amputée, un pouce a été retiré au format papier et l’édition dominicale n’existe plus. La vice-présidente aux communications, Caroline Jamet, soutient que les employés doivent maintenant faire leur part. L’effort demandé représente 13 millions $.

Et alors que la communauté journalistique est en état de choc, que certains journalistes disent à mi-voix qu’il s’agit d’une menace voilée de lock-out, que d’autres considèrent impossible d’avoir deux grands quotidiens nationaux sur le respirateur en même temps (Journal de Montréal et La Presse), d’autres affirment qu’effectivement La Presse dépense, et depuis longtemps, bien au-dessus de ses moyens.

Quant à volonté réelle de mettre à exécution la menace, deux cadres ayant requis l’anonymat jugent qu’elle est fondée. «Cette mise à nu est un risque. Gesca vient de dire publiquement que sa précarité est profonde. En avouant cela, elle fait peur à ses clients, peur à ses annonceurs et impose aussi une certaine tension sur ses employés. Forcément, l’affaire est sérieuse», indique l’un d’eux.

Cet état de crise, centré sur la disparition de La Presse, génère de vifs échanges autour de la fragilité des médias et de l’état de la presse au Québec. Une onde de choc qui a pour effet de faire disparaître complètement la décision de la Cour d’appel de l’écran radar… Pourtant, on indiquait la veille que «les avocats de Power Corporation étudiaient le jugement pour déterminer s’ils iront en appel devant la Cour suprême du Canada», est-ce que l’annonce d’une suspension est la résultante d’une soirée d’étude?

Difficile de conclure ce qu’il faut tirer comme leçon.