par Sylviane Lanthier
Une dizaine de jeunes dans la trentaine se rencontrent tous les jeudis soirs dans le lounge d’un restaurant du centre-ville de Winnipeg. En majorité journalistes ou agents de communication, ils boivent une bière, commandent des nachos et cassent du sucre sur le dos d’une francophonie manitobaine dont ils comprennent mal les codes et ignorent l’histoire. Ce sont de maudits Québécois. Parmi eux, une nouvelle venue, Geneviève Morin, fraîchement débarquée au journal communautaire local, avec en poche un diplôme de communication dont l’encre n’est pas encore tout à fait sèche.
Voilà la trame de fond de La maudite Québécoise, récent roman de Janis Locas publié à Montréal, aux éditions Triptyque. Le choc du majoritaire qui tombe dans le terreau de la minorité francophone a rarement été raconté avec autant de vivacité, de cynisme, de tendresse et de drôlerie. Cette jeune fille de 20 ans qui quitte parents et patelin découvrira une toute nouvelle réalité, sur tous les plans.
Au fil des saisons, la jeune journaliste subira tous ces chocs culturels. Posera des jugements intempestifs qu’elle croira définitifs sur des situations qui la dépassent. Côtoiera des collègues francos qui la boudent. Se consolera en se disant qu’elle partira dans un an. Puis se laissera séduire par la sérénité d’un paysage de campagne ou par la rencontre de personnages sympathiques.
Faire de Geneviève Morin une journaliste couvrant l’actualité permet à Janis Locas de dresser le portrait, cynique et pas toujours flatteur, d’une communauté francophone portant le flambeau d’une culture vacillante, par le biais d’une poignée de leaders au service d’organismes qui les transforment en fonctionnaires comptant leurs heures supplémentaires. En régurgitant (en version romancée) toutes ces pages de la récente histoire des Franco-Manitobains, Janis Locas illustre sans ménagement les luttes et les questions existentielles auxquels sont confrontés les francophones d’aujourd’hui, et met en évidence un des comportements les plus étranges de cette communauté aux yeux de tout nouveau venu. Bien sûr, l’auteure frôle ici la caricature, mais soulève aussi certaines vérités. On sourit souvent, mais on grince aussi des dents.
Certains des personnages du roman nous donnent l’étrange impression de les avoir croisés hier sur la rue. L’auteure elle-même y apparaît sous les traits d’une Mireille, jeune québécoise adaptée à la vie en minorité qui tombera amoureuse d’un journaliste de ‘Radio-Pays’.
Sylviane Lanthier vit au Manitoba depuis 20 ans. Ancienne journaliste, elle a été directrice et rédactrice en chef de La Liberté et est directrice générale du Centre culturel franco-manitobain depuis novembre 2009.
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