La liberté de presse: droit et devoir

Voir aussi: La loi d'accès à l'information à l'heure du bilan et La liberté de presse: qui s'en soucie au Canada?

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«Les décisions les plus importantes sont prises en secret», a déclaré le professeur Fred Vallance-Jones de l'Université King's College de Halifax, vendredi, lors d'un colloque à l'Université Ryerson, à Toronto. Comme lui, tout au long de cet événement qui soulignait le trentième anniversaire de la Charte des droits et libertés, de nombreux journalistes, chercheurs et avocats ont dénoncé la culture du secret du gouvernement et des tribunaux canadiens ; une culture qui met à mal la liberté de presse, un droit pourtant fondamental.

Un droit bafoué

Selon M.Vallance-Jones, le gouvernement canadien n'a jamais eu une forte propension à la transparence. Selon la tradition britannique, peu importe la couleur du gouvernement en place, les décisions les plus sensibles sont prises derrière des portes closes. La Loi d'accès à l'information, adoptée il y a 30 ans, devait corriger cette culture du secret. Néanmoins, elle contient un grand nombre d'exceptions et ceux qui s'y frottent se perdent dans ses dédales administratifs ce qui rend le système complètement dysfonctionnel, selon le chercheur de King's College.

La commissaire à l'éthique de la Ville de Vaughan (au nord de Toronto), l'avocate Suzanne Craig, a elle aussi dénoncé le manque de volonté politique et la culture du secret des dirigeants et des fonctionnaires. Néanmoins, elle ne réclame pas une réforme de la Loi, car elle estime qu'elle est tout à fait fonctionnelle quand elle est appliquée par des gens qui ont à cœur la transparence et le service au public. Selon elle, plusieurs pointent le manque de ressources humaines et financières pour justifier la lenteur du système. Selon elle, ils n'ont pas tort, néanmoins traiter avec diligence et ouverture les demandes d'accès ne devrait pas être considérée comme une dépense, mais plutôt comme un outil pour renforcer la confiance des citoyens, le débat public et la démocratie.

Comme M.Vallance Jones, elle a également déploré que les demandes des journalistes reçoivent un traitement inéquitable. Selon les données présentées par le chercheur, ces demandes sont en moyenne traitées selon des délais plus longs que celles d'autres citoyens. Bien que la Loi recommande qu'une demande d'accès à l'information reçoive une réponse dans les 30 jours, il n'est pas rare qu'un journaliste doive attendre six ou neuf mois, voire même une année ou plus avant d'obtenir une réponse. Ainsi, un tiers des demandes formulées par les journalistes sont tout simplement abandonnées. Pour éviter de tels délais, Me Craig recommande aux journalistes de demander conseil aux commissaires des Commissions d'accès à l'information afin d'être guidés avec précision dans la rédaction de leurs requêtes.

Un devoir à assumer

Mais la commissaire à l'éthique encourage surtout les journalistes à documenter systématiquement leurs difficultés et à en faire part à la population, car, à chaque fois qu'ils essuient un refus, les citoyens doivent être conscients qu'on leur refuse le droit de savoir comment leurs impôts sont dépensés. Renchérissant sur cette recommandation, le professeur Bruce Gillespie de l'Université Wilfried Laurier à Waterloo estime que les médias ont un important travail d'éducation à faire auprès du public au sujet de la Loi d'accès à l'information et de la liberté de presse. Pour lui, par leur façon d'en parler, les journalistes contribuent à l'apathie du public à l'égard de ce droit fondamental. De plus, au lieu de se battre pour leurs droits quand des obstacles se présentent, beaucoup choisissent plutôt les sentiers balisés, les sujets faciles, sensationnels et populaires.

La journaliste Michelle Shephard, qui s'est plainte de la fermeture du gouvernement sur les questions relatives à la sécurité nationale, a admis que devant la multiplication des obstacles, beaucoup de journalistes deviennent frustrés et paresseux. Tandis que le journaliste Linden MacIntyre, de l'émission Fifth estate à CBC, a souligné qu'il est bien plus facile de blâmer les contraintes que d'assumer ses responsabilités et de se battre pour ses droits. «Dans le fond, nous avons peur de la liberté et de la transparence parce qu'elles impliquent des responsabilités», a-t-il déploré, après avoir relaté sa propre bataille pour l'accès à l'information qui l'a mené en Cour suprême en 1982.

Mais le professeur Paul Knox de l'Université Ryerson a souligné que les journalistes n'ont peut-être pas toujours les moyens d'assumer leurs responsabilités. «En tant que journaliste, je m'attends à ce que des gens essaient de m'intimider. Pourquoi n'est-il plus dans notre ADN de nous attendre à ce que les gens nous empêchent de travailler en rond? Peut-être que les journalistes ne sont plus aussi bien soutenus par leurs entreprises et leurs patrons qu'avant.»

À ce sujet, le professeur David Swick de l'Université King's College a exposé les pressions commerciales et politiques auxquelles sont confrontés les journalistes. Un ancien étudiant lui a ainsi rapporté être obligé de demander à ses sources d'acheter de la publicité dans son journal si elles souhaitaient que leur point de vue soit relaté. Tandis qu'un autre a eu le mot d'ordre d'assurer une couverture favorable à un candidat lors d'une campagne électorale municipale, en fermant les yeux sur les informations qui pourraient lui nuire. Combinées au manque de transparence des entreprises de presse, qui pour la plupart n'ont pas d'ombudsman et se désaffilient en masse des conseils de presse, ces pressions minent la confiance du public à l'égard des journalistes et nuisent à la démocratie, a souligné M.Swick.