La FPJQ perd sa mémoire

Après vingt-cinq ans passés au poste de secrétaire général de Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Claude Robillard prend sa retraite. Pour ProjetJ, il revient sur l’histoire de cette organisation, le plus important regroupement de journalistes au pays, sur son évolution et ses prises de position.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

Après vingt-cinq ans passés au poste de secrétaire général de Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Claude Robillard prend sa retraite. Pour ProjetJ, il revient sur l’histoire de cette organisation, le plus important regroupement de journalistes au pays, sur son évolution et ses prises de position.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

Dans une vidéo réalisée à l’occasion des ses vingt ans de bons et loyaux services rendus à la Fédération, les intervenants ne voulaient pas imaginer que Claude Robillard puisse un jour quitter le navire FPJQ. Interrogé sur ce qu’il faudrait faire dans l’éventualité d’un départ, Michel C. Auger répond: «le cloner avant qu’il parte! De toutes façons, j’ai toujours pensé qu’on allait un jour se le faire piquer, Claude. Il aurait d’ailleurs été remarquable à de nombreux postes clés dans des salles de nouvelles. Il aurait été un affectateur extraordinaire.»

Hommage à Claude Robillard from FPJQ on Vimeo.

Et bien ce triste jour pour la FPJQ est arrivé. Claude Robillard est dans ses cartons et il quittera officiellement demain, le siège de l’avenue du Mont-Royal.

Les hommages qui lui ont été rendus lors du dernier congrès de la Fédération en novembre à Québec, ne tarissaient pas d’éloge sur celui que tout le monde présentait comme la mémoire vivante de la FPJQ. Attablé dans un restaurant à quelques blocs du petit bureau qui sert de siège au principal regroupement de journalistes au Québec, le jeune retraité refait l’histoire de cette organisation qu’il a administrée durant plus d’un quart de siècle. Les dates tombent avec précision.

Proche de la mort

Il revient sur le mouvement qui a mené à la création de la FPJQ. Avec tout d’abord l’Association canadienne des journalistes de langue française.

«Mais à la fin des années 60, celle-ci est devenue moribonde, raconte-t-il. Il devait y avoir quatre-vingt membres environ et c’était des adhésions individuelles. En 1969, apparait alors la Fédération, qui à l’époque était une fédération de syndicats. Mais le membership ne suit pas et quand la Fédération nationale des communications (FNC) apparait en 1973, beaucoup pensent que les journalistes n’ont plus besoin d’un organisme professionnel puisqu’il y a une organisation syndicale qui fait la job. D’autant que le Conseil de Presse apparait également dans le portrait cette année-là. Bref, la FPJQ passe près de la mort. Elle n’avait plus que cinq cents membres et le Syndicat du Soleil était sorti, alors même qu’il y était jusque-là très actif.»

Entre 1973 et 1981, la Fédération vivote ainsi sans salarié, ni permanent. Et si au début des années 1980, elle entrevoit de nouveau la lumière grâce à de bons congrès, de bons invités comme René Lévesque, une remontée des adhésions et l’embauche d’un secrétaire général, lorsque Claude Robillard en prend les rênes en 1989, elle reste faible et n’a guère plus de 1000 membres. Le climat qui y règne est délétère.

«Cet affaiblissement fait en sorte que d’autres prennent la place, explique-t-il. Il y avait beaucoup de cercles de presse par exemple et en 1988, l’Association des journalistes indépendants (AJIQ) est créée. Il y avait aussi des conflits avec Le Trente, qui, s’il était l’organe de la Fédération, du fait des subventions, était devenu un journal fort. Bref, quand j’arrive, il y a un déficit de 62 000 dollars! Les locaux sont dans un tout petit bureau au troisième d’un triplex sur le Plateau… dont j’ai été expulsé quelques mois plus tard. En novembre 1989, André Noël est alors élu à la présidence pour faire le ménage.»

Titre professionnel

En tout, Claude Robillard a connu dix présidents dont Michel C. Auger, Anne-Marie Dussault, Alain Gravel ou encore Alain Saulnier. Parmi les gros mouvements, il y a d’abord en 1992, la transformation de la Fédération en association. Car si l’organisme a gardé son nom originel, il n’est plus une fédération de syndicats mais bien une association avec des membres qui sont des individus, à savoir des journalistes. Un an plus tard, la première section régionale voit le jour en Estrie, puis d’autres, qui petit à petit remplacent les cercles de presse. Puis vient l’adoption en 1996, d’un guide de déontologie, grand cheval de bataille d’Alain Saulnier. De nouveaux services font leur apparition, les prix Judith-Jasmin arrivent dans le giron de la Fédération en 1995, un comité de photojournalistes voit le jour, puis les prix Antoine-Desilets. Un peu plus tard le perfectionnement, les lundis de la pige, etc.

Ainsi, Claude Robillard quitte demain une association forte de près de 2000 membres, dont plus de sept cents ont participé au dernier congrès, un record. Le sentiment du devoir accompli donc, et l’assurance de ne pas avoir à rougir des prises de position de la FPJQ, notamment, concernant ce qui aura été le fil conducteur de ces vingt-cinq ans, la liberté de la presse, l’indépendance des médias et la transparence des différents paliers de gouvernement, la loi sur l’accès à l’information.

Même concernant le titre professionnel?

«Même concernant le titre professionnel, affirme-t-il. Oui, nous avons consulté nos membres. Oui, ils souhaitaient ce titre. Et oui, nous avons finalement pris position contre, résume-t-il. Sauf qu’entre l’idée et la réalité, il y a eu un monde. Nous n’avions pas anticipé que le Conseil de Presse voudrait reprendre à sa charge le fait de délivrer la carte de presse, alors même qu’il nous avait légué cela il y a bien longtemps arguant que ça ne faisait pas partie de son mandat. Et dès que les consultations ont démarré nous avons compris que le gouvernement voyait en ce titre, la possibilité de restreindre la liberté de la presse. Nous avons eu une rencontre avec des hauts fonctionnaires qui sont allés jusqu’à vouloir déterminer qui pourrait être considéré comme journaliste, et qui d’ores et déjà, n’y incluaient pas les recherchistes…»

Conseil de Presse et AJIQ

Il assume donc le différend qui oppose la Fédération au Conseil de Presse du Québec aujourd’hui, estimant que l’organisme garant de l’éthique et de la déontologie des journalistes cherche en fait à contrôler la profession, et lui reprochant d’être gouverné, non pas par son Conseil d’administration mais par les permanents.

«On peut reprocher des choses à la FPJQ, admet-il, mais ce qui est certain, c’est qu’à la Fédération, ce sont toujours les présidents qui ont pris les décisions, affirme-t-il. J’avais pour ma part un rôle de gestion administrative, j’ai souvent écrit les prises de position, et j’ai conseillé les présidents parce que du fait de ma longévité, je savais mieux qu’eux ce qui avait été fait et dit avant leur arrivée. Mais ce sont toujours eux et le conseil d’administration qui ont choisi les directions.»

Assumées également les tensions qui persistent entre la FPJQ et l’AJIQ.   

«L’association nous reproche souvent de ne rien faire pour les pigistes, regrette-t-il. Mais que peut-on faire de plus? Nous ne sommes pas un syndicat, ce n’est donc pas à nous de prendre position, notamment concernant leur principale revendication, le contrat collectif. À titre individuel, nous pouvons être en faveur de l’octroi de meilleures conditions pour les pigistes et de réévaluer le feuillet, mais en tant qu’organisation non syndicale, ce n’est pas notre rôle d’aller sur la place publique avec ça. La question que devrait plutôt se poser l’AJIQ, poursuit-il, c’est pourquoi elle n’est pas soutenue par les pigistes vedettes, ceux qui gagnent très bien leur vie à la pige. Il suffirait que ces vedettes menacent les conglomérats de ne plus écrire pour que les choses bougent. D’autre part, nous offrons un programme d’assurances, notamment une assurance salaire, qui est particulièrement adaptée aux pigistes.»

Retraite active

En remontant l’avenue du Mont-Royal, Claude Robillard croise sur son chemin les photos des lauréats des prix Antoine-Desilets, exposées sur cette artère jusqu’au 1er juin. C’est non sans une certaine émotion qu’il y jette un œil… imaginant sans doute à quoi ressemblera maintenant sa vie. Car si en vingt-cinq ans au secrétariat de la FPJQ, il n’a jamais regretté de ne pas avoir réintégré une salle de nouvelles en tant que journaliste, ce qui va le plus le chercher et qui l’a poussé à prendre sa retraite dès maintenant, c’est de revenir à ses premières amours, la photo.

Mais Claude Robillard continuera cependant encore quelques années à graviter autour de la FPJQ. D’abord parce que la passation n’est pas encore tout à fait terminée avec celle qui est arrivée il y a six mois pour le remplacer, Caroline Locher, mais aussi parce qu’il a déjà accepté un mandat externe, au sein d’un dossier qui tient très à cœur au nouveau président Pierre Craig, et pour lequel la Fédération a reçu une subvention du ministère de la culture et des communications, à savoir l’accès à l’information municipale en toute transparence.

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