La concentration des médias et Quebecor toujours malmenés par l’opinion publique

Par Marc-François Bernier, professeur agrégé, titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme à l'Université d'Ottawa et membre du comité éditorial de ProjetJ.ca

La moitié des Québécois estiment que la concentration de la presse nuit au droit du public à une information de qualité et que Quebecor Media est le conglomérat qui utilise le plus ses journalistes pour servir les intérêts économiques ou politiques de ses dirigeants.

Par Marc-François Bernier, professeur agrégé, titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme à l'Université d'Ottawa et membre du comité éditorial de ProjetJ.ca

La moitié des Québécois estiment que la concentration de la presse nuit au droit du public à une information de qualité et que Quebecor Media est le conglomérat qui utilise le plus ses journalistes pour servir les intérêts économiques ou politiques de ses dirigeants.

C'est ce que révèle le Baromètre des médias 2011 de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l'Université d'Ottawa. Ces résultats proviennent d'un sondage omnibus réalisé par la firme CROP, du 13 au 17 octobre dernier, auprès de 1000 répondants, par le biais d'un panel web. Les résultats ont été pondérés pour être représentatifs de la population québécoise.

Depuis la publication du Baromètre des médias 2010, ce qu'il est convenu d'appeler la guerre des conglomérats médiatiques a pris de l'importance, notamment par la publication répétée d'articles et de reportages critiques par les journalistes d'information et d'opinion de Quebecor Media à l'encontre, le plus souvent, de la Société Radio-Canada.

En effet, à de très nombreuses occasions, les journalistes tout comme les dirigeants de Quebecor Media ont formulé des critiques à l'effet que la SRC cherchait à se soustraire de ses obligations d'imputabilité en refusant de se soumettre à la Loi d'accès à l'information. Dans la même veine, on a aussi reproché à la SRC d'avoir une entente tacite, sinon une complicité, avec les médias du groupe Gesca, propriété de Power Corporation.

De leur côté, les journalistes de la SRC et de Gesca ont évoqué à plusieurs reprises les attaques dont ils faisaient l'objet, tout en dénonçant de manière plus ou moins explicite la stratégie de convergence en vigueur chez Quebecor. Cette stratégie aurait notamment pour effet d'éliminer la frontière entre information journalistique et la promotion des intérêts de l'entreprise et de ses filiales.

Comme nous l'avions fait en octobre 2010, il nous a semblé pertinent de sonder les Québécois au sujet de certains enjeux, notamment en ce qui concerne la concentration de la propriété des médias et l'utilisation que les entreprises de presse peuvent faire de leurs journalistes, à des fins particulières plutôt que pour servir avant tout l'intérêt public.

Mentionnons tout d'abord que 35% des Québécois sont d'avis que les médias de Radio-Canada (radio, télévision et Internet) offrent la meilleure qualité d'information, contre 29% pour les médias de Quebecor, 8% pour ceux de Gesca et 5% pour Le Devoir. C'est la troisième année de suite que Radio-Canada se classe en tête du Baromètre des médias à cet égard.

Question d'intégrité…

À la question «Selon vous, parmi les trois entreprises médiatiques suivantes, laquelle utilise le plus ses journalistes pour servir les intérêts économiques ou politiques de sesdirigeants ?», 49% des Québécois désignent Quebecor Media, contre 17% pour Radio-Canada et seulement 6% pour Gesca. En ce qui concerne Quebecor Media et Gesca, ces résultats sont similaires à ceux de l'année dernière. Pour Radio-Canada, on observe une diminution (22,7% en 2010) qui peut être attribuée au fait que la proportion des répondants qui ne savent pas ou qui refusent de répondre passe de 20% à 29 % en 2011.

On constate par ailleurs que la moitié des répondants qui estiment que les médias de Quebecor offrent la meilleure qualité d'information croient également que ses dirigeants utilisent les journalistes pour servir leurs intérêts économiques ou politiques. Il est possible que cela ne pose pas de problème d'intégrité journalistique pour bon nombre de répondants, dont ceux, par exemple, qui souhaitent le retour des Nordiques de Québec et favorisent la construction d'un nouvel amphithéâtre à Québec dont la gestion a été confiée à Quebecor. Il peut leur sembler naturel, le cas échéant, que la couverture des journalistes de ce conglomérat soit favorable à cette entente.

Le portrait est différent ailleurs. Ainsi, 56% de ceux qui estiment que Radio-Canada offre la meilleure qualité de l'information sont d'avis que les dirigeants de Quebecor utilisent le plus leurs journalistes, et cette proportion atteint 62% pour ceux qui choisissent les médias de Gesca ou encore Le Devoir. En somme, moins le public désigne les médias de Quebecor comme sources d'information de qualité, plus il estime que les dirigeants de ce conglomérat utilisent leurs journalistes pour servir leurs intérêts économiques ou politiques. Cela soulève la question de l'intégrité de l'information qui, selon l'éthique et la déontologie du journalisme, ne doit pas être compromise par les intérêts économiques ou politiques de leurs dirigeants.

Ajoutons que seulement 20% des Québécois croient que les journalistes résistent aux pressions de l'argent (45% croient qu'ils ne sont pas indépendants à ce sujet). De même, seulement 20% des répondants sont d'avis que les journalistes résistent aux pressions des partis politiques et du pouvoir politique (53 % croient qu'ils ne sont pas indépendants à ce sujet). Cela représente une importante diminution comparativement aux baromètres de 2009 et 2010 où la confiance des Québécois était d'environ 40%. La chute de confiance semble due à la proportion de ceux qui disent ne pas le savoir, proportion qui grimpe respectivement de 20% et de 14% pour ces deux items. Le doute se serait donc installé chez les Québécois.

Cela est quelque peu surprenant quand on sait que plusieurs observateurs estiment que les médias et le journalisme d'enquête ont permis de dévoiler bon nombre de scandales liés à la corruption et la collusion, scandales qui mettent en cause de grandes entreprises et certaines formations politiques. On peut se demander si les médias ne sont pas en quelque sorte victimes, par percolation, de la suspicion qui touche bon nombre d'institutions sociales résultant, justement, de leurs reportages. Il faudra surveiller cela au cours des prochaines années.

La concentration de la presse

Seulement 26% des Québécois estiment que le fait d'être propriétaire de plusieurs médias favorise beaucoup ou un peu le droit du public à une information de qualité, alors que 50% sont d'avis que cela nuit un peu ou beaucoup. Une analyse plus poussée montre que 46% de ceux qui estiment que les médias de Quebecor offrent la meilleure qualité d'information sont d'avis que la concentration favorise un peu ou beaucoup le droit du public à une information de qualité (près de 27% croient que cela n'a aucun effet).

Chez les répondants qui préfèrent Radio-Canada, plus de 66% estiment que la concentration nuit au droit du public à une information de qualité et seulement 19% croient que cela est favorable. Pour ceux qui favorisent les médias de Gesca, cette proportion grimpe à plus de 68% et elle dépasse même 85% chez ceux qui estiment que Le Devoir est le média qui offre la meilleure qualité d'information. La fréquentation ou la préférence envers un média ou un autre est donc un facteur qui influence l'opinion que l'on a quant aux effets de la concentration de la propriété.

En résumé, on peut affirmer que les Québécois se méfient toujours des effets nuisibles de la concentration de la presse sur leur droit à une information de qualité. Ce verdict négatif est constant depuis plusieurs années. De même, ils sont conscients que les journalistes peuvent être utilisés pour servir les intérêts économiques ou politiques de leur employeur. À ce chapitre, l'opinion publique désigne clairement Quebecor Media, pour une deuxième année consécutive.