Dans la dernière édition papier de Méta-Média, Éric Scherrer, directeur de la prospective à France Télévisions, s’aventure à dresser un portrait fouillé des nouvelles tendances en matière de consommation médiatique, et donc, par voie de conséquences, de pratiques journalistiques. Rien de bien révolutionnaire, mais à en croire ce rapport, en 2014, il faudra prendre le train de l’innovation ou disparaître.

Dans la dernière édition papier de Méta-Média, Éric Scherrer, directeur de la prospective à France Télévisions, s’aventure à dresser un portrait fouillé des nouvelles tendances en matière de consommation médiatique, et donc, par voie de conséquences, de pratiques journalistiques. Rien de bien révolutionnaire, mais à en croire ce rapport, en 2014, il faudra prendre le train de l’innovation ou disparaître.  

Par Hélène Roulot-Ganzmann

L’ère du big data

Si l’industrie a beaucoup parlé de données en 2013, ce n’est rien par rapport à ce que ce sera en 2014 et dans les années à venir, d’après Éric Scherrer, qui aux mandats traditionnellement conférés aux journalistes professionnels de trouver, trier, choisir, vérifier et mettre en contexte une nouvelle, ajoute celui de l’agréger. Selon lui, tous les journalistes devraient aujourd’hui avoir des notions de programmation et ne pas avoir peur de mettre les mains dans des bases de données.

Une tendance tellement forte que le directeur de la prospective de France Télévisions a même choisi d’intituler son rapport Affinités prédictives: des algorithmes et des hommes.

En résumée, le journaliste version 2014, devra accepter que des robots aillent récupérer et classer pour lui toute la cacophonie et le vacarme générés sur le web, «les quantités gigantesques de données que nous produisons chaque jour lorsque nous naviguons, cherchons, cliquons, échangeons», afin de pouvoir se concentrer sur son traitement et produire ainsi du contenu de première main.

Machines à clics vs contenu rare

Certains journalistes continuent pourtant à nier l’importance des données dans nos vies et dans le métier de journaliste. Ceux-là n’auraient pas beaucoup d’avenir dans la profession, selon Nicolas Becquet, journaliste et développeur éditorial à l’Écho, quotidien économique et financier belge. Même s’il en en pointe certaines dérives.

«La logique des revenus publicitaires indexés au nombre de clics, ainsi que l’impératif de visibilité sur le web, ont conduit la majorité des rédactions à écrire pour satisfaire les algorithmes. Rédiger un article «google friendly» nécessite d’embrasser de nombreuses contraintes éditoriales: titre et intertitres conformes aux mots-clés les plus partagés à un instant donné, récurrence de ces termes, taille idéale de texte, nombres de paragraphes, etc.»

Cette écriture adaptée aux règles du référencement a insidieusement conduit à une uniformisation des angles, des formats et du type d’information traité, poursuit-il. Les machines à clics ont en partie remplacé les spécificités rédactionnelles.»

Une gangrène qui pourrait pourtant être encore neutralisée, selon le journaliste belge. Mais dans un contexte de réduction des coûts et des effectifs dans les rédactions, il faudra pour cela que les journalistes acceptent de laisser aux robots le soin de traiter des données, devenues de toute manière trop nombreuses pour être étudiées manuellement, et ainsi se concentrer sur une information plus rare.

«Les journalistes semblent vouloir reprendre la main sur l’information et réaffirmer leur subjectivité face à la rationalité froide des algorithmes, écrit-il. L’éthique, la déontologie, le combat pour le pluralisme des opinions, les exigences de transparence des institutions ne sont pas de simples expressions vides de sens.»

Tablettes et mobilité

Pour la première fois en 2013, les Américains ont consommé plus de médias web et mobiles que de télévision, alors que dans les pays industrialisés, la population passe aujourd’hui autant de temps à s’informer par le biais de tablettes numériques que par les journaux imprimés. La tendance est exponentielle et à ce sujet, Éric Scherrer, venu en octobre visiter la salle de nouvelles de la rue Saint-Jacques, ne taraude pas d’éloges quant à La Presse+.

«Si votre média n’augmente pas ses investissements dans le numérique, fuyez! C’est qu’il est en train de mourir», martèle John Paton, patron de Digital First Media, lors d’une conférence en juin à Paris. Il donne en cela raison aux propriétaires de Gesca, qui n’ont pas hésité à investir 40 millions de dollars pour mettre en place le fameux plan Ipad.

Une innovation 24/7 prônée également par le patron de Google News, Richard Gingras, selon qui seuls les médias ayant un ADN fait «d’innovation permanente à tous les niveaux» pourront survivre.

Ainsi, 2014 pourrait bien être l’année de toutes les tablettes, même au Canada. Le Devoir a révélé il y a quelques jours travailler à la mise en place d’une application mobile et le groupe Postmedia est actuellement à la recherche d’un producteur destiné lui-aussi à mener à bien ce projet.

Des plans ambitieux destinés notamment à rajeunir un lectorat vieillissant, toutes les études démontrant un désintérêt de la génération Y, et même des X pour le format papier. Sauf que depuis dix ans, ces deux groupes ne démontrent aucun signe de vouloir accroître leur temps passé sur les infos, affirme une étude de l’Institut de recherche américain Pew, rapportée par Éric Scherrer.

«Les jeunes générations n’aiment tout simplement plus suivre les news, peut-on lire. Plein de bonnes raisons pour cela: d’avantage de d’activités en concurrence dans le temps disponible, moins d’événements historiques en ce moment, etc. Les médias d’information ont raison de juger vitale l’audience numérique pour leur avenir. Mais ces données suggèrent que l’espoir de retrouver un jour les énormes audiences de jadis doit rester mesuré.»

À Télécharger – Affinités prédictives : des algorithmes et des hommes