Lors du dernier congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas) en mai dernier, trois journalistes indépendants ont été mandatés pour twitter directement via les comptes de l’organisme. Info ou promo? Travail journalistique ou de communication institutionnelle? Problèmes éthiques?

Lors du dernier congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas) en mai dernier, trois journalistes indépendants ont été mandatés pour twitter directement via les comptes de l’organisme. Info ou promo? Travail journalistique ou de communication institutionnelle? Problèmes éthiques? Les protagonistes font part de leur réflexion face à un phénomène amené à se reproduire de plus en plus souvent.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

En mai dernier, avait lieu le quatre-vingt deuxième congrès de l’Acfas, avec une particularité cette année, la présence beaucoup plus forte sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter. Or, qui se cachaient derrière les milliers de messages en 140 caractères publiés durant les cinq jours qu’aura duré l’événement? Trois journalistes indépendants, spécialistes en science, et embauchés à contrat par l’association.

«C’est notre première expérience du genre, raconte Julie Dirwimmer, coordinatrice des relations avec les médias à l’Acfas, à l’origine de la stratégie réseaux sociaux. L’an dernier, nous avions approché des gens pour qu’ils twittent pour nous, mais depuis leurs propres comptes. Nous avons ensuite pensé qu’il serait plus pertinent de communiquer via nos propres comptes. Pour une meilleure visibilité, mais aussi de manière à pouvoir conserver et archiver tous les échanges.»

Une première expérience du genre également pour Marie-Ève Cloutier et Bruno Geoffroy, deux des trois journalistes s’étant prêtés au jeu et avec qui ProjetJ a pu discuter. Très actifs sur Twitter, tout deux ont été approchés par l’Agence science presse, à qui l’Acfas avait confié la mission de sélectionner des candidats.

«Les chercheurs sont des gens très proches de leur contenu, très précis, explique Julie Dirwimmer. Nous avions besoin de gens capables de comprendre rapidement le propos et les enjeux et d’en rendre compte de façon concise et vulgarisée, mais sans en déformer la véracité… ils nous est apparu que nous n’aurions pas de meilleurs profils que des journalistes scientifiques.»

Problèmes éthiques?

«Je n’ai pas été surprise par cette demande, avoue d’ailleurs Marie-Ève Cloutier. Les journalistes sont très présents sur les réseaux sociaux, il est logique que des organisations viennent chercher notre expertise en la matière. Et après coup, je trouve d’ailleurs que ce que j’ai produit est très proche d’un travail journalistique. Il y avait de la recherche préalable en fonction des conférences que j’ai eu à couvrir, puis je devais rendre compte de ce qui se disait. Que je le fasse en direct ou via l’écriture d’un article, quelle différence?»

Peut-être celle d’être payée par l’organisme en question pour le faire, et non par un média indépendant?

Tous assurent avoir eu une totale latitude, les deux journalistes affirmant qu’ils auraient twitté la même chose depuis leur propre compte s’ils avaient eu à couvrir l’événement pour un média.

«Nous  avons pris le risque de leur donner la main, raconte  Julie Dirwimmer. Le mandat qu’ils avaient était de produire des tweets factuels, de ne pas y mettre d’opinions personnelles. Ils ne devaient pas utiliser d’anglicismes et nous avons insisté sur la véracité des faits.»

Un mandat avec lequel les journalistes se sont sentis très confortables, n’y voyant aucun problème éthique.

«Ça n’entre pas en conflit avec mon travail journalistique, affirme Marie-Ève Cloutier. Pas plus que lorsqu’un journaliste anime une conférence ou un débat pour le CORIM, par exemple. Je ne dis pas que je ferais ce genre de contrats pour n’importe quelle entreprise. Mais on parle-là de l’Acfas, une institution de promotion du savoir. Je ne vois pas où pourrait être le conflit d’intérêt.»

Info ou promo?

Bruno Geoffroy pousse plus loin la logique. Lui ne voit pas d’inconvénients à twitter pour le compte d’une compagnie privée, du moment que ses activités ne fassent pas partie des domaines qu’il couvre, à savoir la santé, les sciences, le vin et l’alimentation en général.

«Ça laisse donc beaucoup d’espace de liberté et de création!, note-t-il. Étonnamment, cette question de séparer journalisme et rédaction n’est pas aussi tranchée chez les Anglo-saxons. On est writer, un point c’est tout. À nous d’éviter les conflits d'intérêts dans nos choix professionnels. C’est certain que je ne le ferai pas pour une compagnie pharmaceutique  parce que je serais ensuite en porte-à-faux si je devais écrire sur elle.»

Julie Dirwimmer admet cependant que le contrat est à mi-chemin entre l’information et la promotion.

«Bien sûr que ces comptes Twitter nous permettent de profiter du congrès pour mieux faire connaitre l’Acfas, et en cela, il s’agit de promotion, explique-t-elle. Mais ce que nous publions par ce biais, c’est de l’information scientifique.»

Les deux journalistes y ont vu, quant à eux, un autre avantage, qui les a convaincus d’accepter ce contrat: celui de pouvoir assister, tout en étant payés pour le faire, à des conférences susceptibles de leur donner de la matière et des idées de sujets susceptibles d’être vendus par la suite à des médias.

«En tant que pigiste, nous essayons toujours de maximiser nos activités, d’être les plus efficaces possible, explique Marie-Ève Cloutier. Ça a joué dans mon processus décisionnel.»

«Ça a été un atout, confirme Bruno Geoffroy. Non seulement, ça m’a donné des idées, mais ça m’a aussi permis de réseauter, d’avoir accès à des scientifiques. C’est une vraie chance d’avoir eu ce contrat.»

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