Voir aussi: Guide de survie anti-SLAPP et Secret des sources: principe reconnu au cas par cas
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Les éditions Écosociété lanceront jeudi le tout premier livre en français dédié à l’analyse d’un phénomène d’intimidation judiciaire, la SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation). Ce phénomène touche les citoyens actifs sur les scènes sociale et politique, mais aussi les journalistes. Il a donc un impact direct sur l'information et sur le débat public. ProjetJ a rencontré l'auteur de SLAPP: Bâillonnement et répression judiciaire du discours politique, le professeur à la TÉLUQ et chercheur au GRICIS, Normand Landry.
Comment se manifeste l'intimidation judiciaire auprès des journalistes?
Aux États-Unis, deux journalistes de Fox News ont perdu leur emploi pour avoir refusé de tuer une histoire à la demande de Mosanto. La compagnie a fait pression sur la chaîne à la fin des années 90 pour empêcher la diffusion d'une enquête portant sur les dangers du Posilac, une hormone de croissance bovine. Face à la pression, Fox n'a jamais diffusé l'enquête. Les journalistes ont été congédiés, mais ils ont fait une sortie publique pour dénoncer la situation.
Au Québec, le dernier cas d'intimidation judiciaire probable concerne Alain Gravel et l'équipe d'Enquête. La poursuite intentée par Construction Louisbourg a été jugée abusive par les tribunaux. Il y avait une volonté claire des plaignants de ne pas voir sortir certaines informations, de contrevenir au travail journalistique et d'envoyer un message à Radio-Canada.
L'expérience démontre très clairement que les pressions judiciaires exercées par des compagnies qui ne veulent pas qu'on traite de certains enjeux, d'angles particuliers, poussent les entreprises de presse à reconsidérer la publication de reportages, à en modifier le contenu, voire à en annuler la diffusion. Il y a un impact très clair de ce type de pressions sur le contenu éditorial.
Ces pressions sont un désincitatif majeur à l'idée même de faire du reportage d'enquête. L'investigation devient extrêmement onéreuse et rapporte au final très peu. Seuls le principe de la liberté de presse et la volonté de satisfaire le droit du public à l'information encouragent certains médias à garder le cap. Mais, seules les grandes entreprises de presse peuvent se permettre de s'engager sur ce terrain, car elles ont des services juridiques internes qui contrôlent les contenus éditoriaux sensibles avant la publication. Ce n'est pas du tout le cas pour les petites entreprises de presse qui n'ont pas ce type de ressources.
Quel est l'impact de ces avocats internes sur le travail journalistique?
La SLAPP porte avec elle le danger d'une prudence excessive. Recevoir les conseils d'experts juristes en amont porte le danger d'une modification du contenu. Ça protège l'institution et les journalistes, mais ça nuit au débat public. C'est une intégration d'une logique juridique dans le débat public. La propagation tous azimuts de l'esprit légiste, comme dit Tocqueville, c'est la compréhension des enjeux et des phénomènes sociaux à travers un prisme juridique.
Le risque est qu'on en vienne à publier uniquement des choses qui répondent aux critères jugés acceptables pour une démonstration en justice et non pas en fonction de leur pertinence ou de la nécessité pour le public de connaître l'information. Heureusement, les journalistes sont parfaitement au fait de ce risque et prennent souvent certaines libertés face aux conseils des avocats. Ils négocient. C'est une question de jugement.
La loi anti-SLAPP, adoptée au Québec en 2009, profite-t-elle aux journalistes?
Les citoyens, journalistes compris, sont mieux protégés au Québec depuis l'adoption de la loi anti-SLAPP. Néanmoins, la question est de savoir s'ils sont suffisamment protégés. On fait mieux que le reste du pays, mais on ne fait pas assez. Trois ans après l'adoption de la loi, un bilan doit être fait.
Il y a de grandes résistances encore au Québec à simplement appliquer l'esprit de la loi anti-SLAPP. Les tribunaux demeurent réfractaires à saisir le message que leur a livré le législateur. Il va y avoir une révision de la loi d'ici octobre 2012. C'est le moment d'envoyer un message clair au législateur sur l'appréciation que les tribunaux ont fait de la loi, pour qu'ils rectifient le tir.
Les tribunaux doivent apprendre, d'abord et avant tout, à beaucoup mieux saisir les différentiels économiques entre les parties lorsqu'ils entendent un litige et à considérer clairement l'existence de disparités économiques comme un élément qui vient teinter le processus judiciaire. À l'heure actuelle, c'est le principal problème.
La loi anti-SLAPP devrait-elle être complétée par une loi protégeant le secret des sources journalistiques?
J'ai été surpris d'apprendre récemment qu'aucune loi au Canada ou au Québec ne protège explicitement les sources journalistiques. Les journalistes doivent subir individuellement les coûts de cette absence de protection. Pour moi, c'est un obstacle majeur à une pratique journalistique libre et démocratique.
À l'heure actuelle, il revient aux tribunaux de décider du sort des sources journalistiques au cas par cas. Or, J'ai plus foi en un législateur imputable devant la population qu'en des élites judiciaires non élues. C'est une question de démocratie essentielle.
Adopter une loi, c'est mettre un enjeu sur la place publique, ça mobilise le législateur et les citoyens. Ça nous donnerait l'occasion socialement de réfléchir à l'importance de la liberté de presse, aux risques auxquels font face les journalistes, au caractère primordial de protéger un métier essentiel en démocratie. Ce genre d'enjeu doit être débattu à l'Assemblée nationale et non pas tranché de manière unilatérale par des tribunaux.
De plus en plus, les tribunaux tiennent lieu d'espaces législatifs. On leur laisse le soin de prendre pour nous des décisions fondamentales. Les débats publics sont reconfigurés comme des débats de droits qui viennent exclure toutes les parties qui ne connaissent pas le vocabulaire légiste. La liberté de presse est fondamentale pour tout le monde, pas juste pour les journalistes, tout le monde devrait pouvoir participer au débat.
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