L’équipe de Tom Rosenstiel a développé, en consultant un groupe de journalistes chevronnés, des critères précis pour évaluer la qualité de l’information télévisée locale aux États-Unis. La grille mise au point comprend la pertinence de l’information rapportée, le degré d’entrepreneurship dans la démarche journalistique, le nombre et la crédibilité des sources présentées, l’équilibre des points de vue et l’absence de sensationnalisme. Les chercheurs ont ensuite analysé le contenu de plus de 30 000 nouvelles diffusées sur une période de cinq ans à travers le pays, ils ont mis en relation ces nouvelles avec les cotes d’écoute obtenues et ils ont interviewé des centaines de professionnels dans les salles de nouvelles. Déjà, ce dispositif de recherche impressionne.

Mais ce qui fascine davantage, c’est l’insistance des auteurs sur la manière de pratiquer le journalisme. Selon eux, les choix des téléspectateurs révèlent que c’est le journalisme de qualité qui les intéresse et qui rapporte des dividendes aux producteurs. Ainsi, une part importante de leur analyse consiste à déboulonner un ensemble de mythes qui structurent la production de l’information télévisée. Contrairement aux idées reçues, ces chercheurs constatent que les téléspectateurs ne recherchent pas les histoires les plus dramatiques et alarmantes, illustrées à coup de gyrophares, de rubans jaunes et de visages terrifiés, qu’ils ne valorisent pas les informations de dernière heure et le direct, qu’ils s’intéressent aux informations géographiquement éloignées de leur communauté et qu’ils apprécient les longs reportages sur des enjeux complexes, dans la mesure où l’on montre comment ces événements ont une influence sur leur vie. Ce n’est pas, en soi, en misant davantage sur les faits divers, les nouvelles socioéconomiques ou politiques que les stations de télévision attireront plus de téléspectateurs, mais en faisant preuve d’initiatives dans la démarche journalistique, en explorant plusieurs points de vue, en recourant à des sources diversifiées et crédibles, et en s’attardant à la dimension d’un sujet qui est susceptible d’avoir un impact sur la vie des téléspectateurs ou de leur communauté.

 

Concernant le journalisme politique mené en période électorale, Tom Rosenstiel et ses collègues montrent à quel point la couverture de la course entre les candidats et des stratégies qu’ils déploient est éloignée des préférences des téléspectateurs. Ceux-ci recherchent davantage les reportages sur des enjeux, où l’on met en évidence les relations entre des décisions politiques et ce qui affecte leur vie quotidienne, en présentant des données précises, en recourant à des experts et en équilibrant les points de vue. Les rédactions auraient intérêt à prendre leur distance des caravanes.

 

Une question tourmentera cependant le lecteur tout au long de son parcours. Est-ce que tout ceci reflète vraiment les désirs des téléspectateurs? Le cas échéant, comment les producteurs peuvent-ils entretenir une perception à ce point inexacte des préférences des téléspectateurs? Il aurait été intéressant de discuter davantage de cette objection évidente. Les auteurs avancent que dans le tourbillon infernal qui rythme la vie quotidienne des salles de nouvelles, producteurs et journalistes n’ont guère le temps de remettre en question les récits anecdotiques qui circulent dans la profession et les mythes véhiculés par les consultants en marketing. Cela est un peu mince.

 

L’exhaustivité de l’analyse, la relation entre le contenu et le comportement de l’auditoire, le style très accessible des auteurs et leur souci de formuler des propositions réalistes font de We Interrupt this Newscast un ouvrage dans une classe à part qui mérite l’attention des étudiants, des chercheurs et des praticiens.

 

 

Tom Rosenstiel, Marion Just, Todd Belt, Atiba Pertilla, Walter Dean et Dante Chinni, We Interrupt this Newscast. How to Improve Local News and Win Ratings, Too, Cambridge University Press, 2007, 231p.