Hackgate: des facteurs de risque existent aussi au Québec

Par Marc François Bernier, titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme à l'Université d’Ottawa et membre du comité éditorial de ProjetJ.ca – Ce texte est originellement paru dans Le Trente

Par Marc François Bernier, titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme à l'Université d’Ottawa et membre du comité éditorial de ProjetJ.ca – Ce texte est originellement paru dans Le Trente

Rien n'indique qu’une entreprise de presse ou l’autre en soit rendue à un niveau de déliquescence comme celui  révélé par l'affaire du News of the World (NOW) au Royaume-Uni, mais des facteurs de risque sont présents dans le milieu. La vigilance s'impose.

Qui peut affirmer avec certitude qu'il n'y a pas, au Québec, d'interception de communications privées (appels téléphoniques, courriels, lettres et autres documents), ou encore que des journalistes ne profitent pas d'informations transmises de façon illégale par des policiers, des avocats, des juges, des fonctionnaires, des médecins, par exemple? Sans verser dans les théories du complot, on doit être conscient qu'il existe des facteurs de risque pouvant favoriser de tels dérapages.

Un premier facteur est l'insuccès de l'autorégulation des médias. On a largement mis en évidence, en Angleterre, l'échec de la Press Complaints Commission (PCC) dans sa fonction d'autorégulation, si bien que plusieurs exigent une réforme importante de cet organisme qui devait pourtant protéger le public. Dans le cadre du scandale du NOW, la PCC a fait preuve d'un laxisme et d'une complaisance qui ont permis au journal de cacher encore plus longtemps ses pratiques illégales ou de s'en tirer à peu de frais pendant un certain temps.

Au Québec, la situation du Conseil de presse est des plus fragiles à la suite du départ de Quebecor, qui a renié la parole donnée aux parlementaires québécois en 2001. Il faut aussi prendre en compte que son financement dépend en bonne partie des contributions de médias qui sont en mesure de faire pression afin de ne pas être trop écorchés. Cela s'ajoute à l'absence de sanctions matérielles et au fait que ses décisions sont le plus souvent ignorées par les médias, sauf quand cela les avantage.

Il serait téméraire de suggérer que le CPQ adopterait la même conduite que le PCC dans des circonstances similaires. Mais il serait tout aussi naïf de penser qu'une telle chose est impossible. On l'a vu, à une autre époque, céder à la pression de groupes médiatiques pour tenter d'empêcher un citoyen de se faire entendre devant les tribunaux, dans une cause de diffamation.

Un autre facteur de risque est sans contredit lié à la concurrence de plus en plus pugnace que se livrent les principaux conglomérats médiatiques québécois. La course au scoop, authentique ou contestable, ainsi que son exploitation maximale rendue possible par la concentration et la convergence, peut en inciter certains à transgresser aussi bien les lois que les principes éthiques et les règles déontologiques qui en découlent.

Cette tentation est davantage perceptible du côté des médias dont les actions se transigent sur le marché, la mission économique s'imposant au détriment du devoir d'informer correctement le public et du respect de certains droits fondamentaux. On l'a vu ces derniers mois avec le témoignage de certains journalistes de Quebecor qui dénonçaient des commandes condamnables de leurs supérieurs, notamment pour attaquer les journalistes et les médias concurrents. Les dénégations qui ont suivi étaient prévisibles mais peu convaincantes.

L'obsession de la rentabilité économique qui peut animer certains dirigeants d'entreprise de presse est donc un facteur de risque qu'il ne faut pas sous-estimer, sans toutefois y voir une garantie de dérapage.

Par ailleurs, il y a au Québec une proximité incontestable entre les acteurs politiques et certaines entreprises médiatiques d'envergure. Cette proximité s'explique en partie par la concentration des pouvoirs politiques, économiques et médiatiques entre les mains de quelques individus. On le sait, les conglomérats médiatiques ont besoin de l'État (subventions, publicité, règlementation, etc.) tout comme les acteurs politiques ont besoin des médias (visibilité, traitement favorable, marginalisation ou promotion de certains enjeux, etc.).  Il arrive également que des individus évoluent entre les sphères politiques partisanes et le milieu journalistique, à l'image de ce haut dirigeant du NOW devenu responsable des communications d'un ancien premier ministre britannique.

Cependant, l'exiguïté du marché québécois et la proximité des acteurs, qui sont aussi en concurrence dans certains cas, peuvent avoir une vertu prophylactique si on prend en compte que les transgressions graves risquent d'être plus facilement connues et dénoncées. Il faut aussi compter sur la vigilance des citoyens qui peuvent contribuer à l'imputabilité médiatique par l'intermédiaire des médias sociaux.

Même si aucun scandale de l'envergure de celui du NOW n'a éclaté au Québec, cela ne signifie pas que nous sommes à l'abri de dérapages majeurs car les principaux facteurs de risque existent bel et bien : autorégulation défaillante, concurrence de plus en plus agressive, voire excessive entre différents conglomérats médiatiques et proximité des élites politico-médiatiques.

 

La Fondation pour le journalisme canadien, éditrice de ProjetJ.ca et de J-Source.ca tiendra ce soir, à Toronto, une table ronde intitulée «Retombées du Hackgate: Avons-nous besoin d'une régulation?».

 

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