Guerre de tranchées sur la rue Frontenac

Par Marc-André Champagne et Ariane Godbout
Université Laval

Le lock-out de 253 employés du Journal de Montréal perdure depuis le 24 janvier 2009. Le Journal continue depuis d’être publié grâce notamment aux textes rédigés par une quarantaine de cadres. On pouvait penser immédiatement que la baisse d’effectifs entraînerait une diminution de la qualité du contenu, et par conséquent un certain désintérêt du lectorat. Or, il n’en est rien. Au contraire le tirage du journal s’est non seulement maintenu, mais il a même augmenté. Comment expliquer une telle contradiction?

Selon François Demers, vice-doyen à la recherche de la faculté des lettres de l’Université Laval, une deuxième salle de rédaction avait pratiquement été mise en place avant même le début du lock-out. Aujourd’hui, les cadres, par le biais de l’agence QMI, entité qui regroupe tous les articles rédigés par les médias de l’empire Quebecor, peuvent dorénavant utiliser ces textes pour compléter les pages du quotidien. Les cadres rédigeant eux-mêmes une partie des articles du journal, ce qui assure un minimum d’informations originales, empêchant la majorité des lecteurs de percevoir une perte de diversité. « Ils misent en une et dans les dix premières pages sur du matériel original, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de chroniques, […] et puis chaque jour, une ou deux grosses nouvelles maison, scoop, ou reportage de fond » nous a confié Stéphane Baillargeon, chroniqueur médias au Devoir.

Ce dernier, qui se dit lecteur assidu du Journal de Montréal, note lui-même une diminution du contenu. « Pas nécessairement de la qualité totale, mais il y a moins de nouvelles maison et moins d’informations ». Donc, une perte quantitative des articles rédigés par des employés du Journal de Montréal, mais une difficulté apparente à se prononcer directement sur une baisse ou non de la qualité globale du quotidien.

Lors du conflit de travail au Journal de Québec en 2008, des problèmes semblables ont été remarqués. Daniel Giroux, secrétaire général du Centre d’études sur les médias, affirme que les cadres du Journal de Québec n’étaient cependant pas aussi préparés et n’avaient pas accès aux mêmes ressources, dont l’agence QMI. Dans cette situation, on avait constaté une baisse substantielle de la quantité d’informations rédigées localement, remplacée par une surutilisation des agences de presse. À Québec, on avait fait face à une diminution, entre 2004 et 2008, de 37 000 lecteurs en semaine, diminution expliquée en partie par le lock-out, alors qu’au Soleil, une augmentation de 27 000 lecteurs a été notée durant la même période.

En quoi la situation du Journal de Québec et du Journal de Montréal est-elle différente? Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi les lecteurs continuent à lire en aussi grand nombre le quotidien de Montréal malgré le conflit de travail. Premièrement, comme dit précédemment, la qualité du Journal de Montréal n’a pas diminué significativement.
Un autre aspect qui explique la stabilité du lectorat au Journal de Montréal est le fait que les journalistes en lock-out n’ont pas mis en place un quotidien papier concurrent, comme ce fut le cas lors du conflit de travail au Journal de Québec. Ces derniers ont plutôt préféré utiliser un site internet, Rue Frontenac, pour faire valoir leur point de vue et diffuser de l’information. Les syndiqués eux-mêmes reconnaissent que cet outil n’est pas aussi efficace que le journal alternatif que produisaient les syndiqués du Journal de Québec pendant le conflit.

Les employés en lock-out du Journal de Montréal préparent de nouveaux moyens de pression pour ramener la partie patronale sur la table de négociations. Ils assurent que le public devrait être beaucoup plus sollicité que durant la dernière année.

Cependant, si les nouveaux moyens entrepris par les employés du Journal de Montréal ne portent pas fruit, tout porte à croire que le conflit pourrait s’éterniser. En effet, tant les syndiqués que Quebecor sont capables de tenir, et aucun des deux ne semble prêt à faire d’importantes concessions. Pour l’instant, la situation n’est à l’avantage d’aucun et on est loin de l’essoufflement de part et d’autre.

La partie patronale continue même de faire des profits sur la vente du quotidien, en partie grâce aux économies engendrées par la baisse des dépenses salariales.