Les propos de Lise Bissonnette sur le « public gazouilleur » et la « communauté de placoteux », qui ont tant fait réagir cette semaine dans le petit monde médiatique québécois, sont désormais disponibles dans leur intégralité et surtout leur contexte. Pour qui se donne la peine de l’écouter, l’ex-directrice du Devoir et de la Grande Bibliothèque du Québec souligne avec beaucoup de justesse les apports et les effets pervers de la révolution numérique quant au journalisme et à la vie démocratique. Par contre, pour qui se donne la peine de fouiller un peu sur le Web – y compris au-delà de nos frontières – les pistes de solution aux problèmes qu’elle évoque sont nombreuses et fécondes. J’y reviendrai dans un prochain billet.
Comme le souligne Antoine Robitaille dans l’article qui a lancé le débat, Lise Bissonnette constate l’ « âge d’or » actuel du journalisme d’enquête et l’exactitude accrue des informations. Mais le temps gagné grâce à la technologie n’est pas nécessairement réinvesti en recherche et en peaufinage de textes. Le journalisme politique est plutôt devenu le règne des chroniqueurs vedettes qui se déclinent sur toutes les plates-formes (télévision, radio, blogues et médias sociaux). Par ailleurs, le retour d’un certain « esprit de pamphlet » serait en soi une bonne nouvelle s’il n’était pas dominé par des amuseurs. Elle déplore la prolifération des commentaires et autres forums de discussion, qui font la part belle au « simplisme, à l’insulte, à l’incivilité », allant jusqu’à accuser les médias d’ encourager par la diffusion de ces propos un certain mépris de la politique (d’autres diraient au contraire que cela favorise la participation, mais c’est un autre débat). En outre, elle rappelle avec raison que l’univers numérique parallèle – où certains semblent habiter en permanence – n’est pas représentatif de l’opinion publique dans son ensemble.
Bref, c’est un plaidoyer pour la distance, la perspective critique et la sobriété (la clef du succès d’estime du Devoir, semble-t-il) et dont l’espace public médiatique, envahi par le bruit, les paillettes et la fascination technologique, aurait bien besoin.
La chroniqueuse Nathalie Petrowski, de La Presse, a renchéri en soulignant quelques exemples récents de travail journalistique de qualité alimenté par les outils numériques, mais surtout en s’interrogeant sur la pertinence des médias sociaux où prolifèrent l’insignifiance et l’autopromotion. Sa collègue Nathalie Collard, qui signe un tout nouveau blogue médias sur Cyberpresse, s’interroge pour sa part quant aux risques de dérapages et de perte d’objectivité journalistique.
Du côté d’Infopresse, Marie-Claude Ducas reconnaît, en s’appuyant sur de jeunes auteurs en vogue pourtant pas technophobes, les vertus du retrait et du silence pour l’écriture, le « besoin de simplicité, de cohérence et de crédibilité » .
Il est facile en effet de constater comment la tentation est grande pour un journaliste, naturellement curieux, grégaire et bavard, de se noyer dans le flot des échanges comme dans la drogue ou toute autre douce dépendance. Le contact direct avec les lecteurs expose à des propos souvent incohérents et parfois cruels, mais il apporte aussi son lot de stimulations et d’informations pertinentes. L’écrivaine Margaret Atwood en souligne quelques-uns dans ce texte paru récemment dans The Guardian. Le problème, pour qui doit produire des textes à plus ou moins brève échéance, est de savoir s’extraire du flot virtuel, le temps de faire du véritable terrain, d’analyser les faits et les situations, de réfléchir et d’écrire un texte qui fasse plus de 140 caractères.
Une étude récente de PR Newsweek et CNW nous apprend que 32% des journalistes canadiens utilisent les blogues comme outil de recherche et 22% se servent de Twitter à cette fin. Non représentatifs sans doute, mais selon ce critère on se passerait de bien d’autres sources. Les médias sociaux exigent assurément un temps d’apprentissage et une certaine autodiscipline, mais ce sont là, à mon sens, des exigences professionnelles tout à fait raisonnables, dans la mesure où elles sont reconnues et intégrées à des conditions matérielles correctes.
La question n’est donc plus de savoir si les journalistes doivent ou non investir professionnellement les médias sociaux, mais plutôt comment ils peuvent le faire, sans imposer de modèle unique. Il s’agit pour chaque journaliste de définir son niveau de confort, son emploi du temps et le ton juste pour exprimer sa voix particulière, sans pour autant jouer à la vedette.
À venir : des pistes pour l’usage journalistique des médias sociaux. En attendant, vos suggestions et réactions sont les bienvenues, dans l’espace commentaires ci-dessous, sur Twitter (@projetj) ou par courriel (info@projetj.ca).
AJOUT: En vrac, quelques autres réactions intéressantes aux propos de Lise Bissonnette et/ou Nathalie Petrowski:
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