Faire une demande d’accès à l’information

Pour tout journaliste qui n’a encore jamais eu à se frotter aux lois sur l’accès à l’information, tant au provincial qu’au fédéral, l’idée de s’y coller a quelque chose de très rebutant. ProjetJ a demandé à deux spécialistes de la chose, Monique Dumont, ex-recherchiste à l’émission Enquête, à l’antenne d’Ici Radio-Canada télé, et Jean-Louis Fortin, adjoint au directeur de l’information au Journal de Montréal, en charge de former ses collègues de Québecor, de révéler quelques-unes de leurs astuces.

Pour tout journaliste qui n’a encore jamais eu à se frotter aux lois sur l’accès à l’information, tant au provincial qu’au fédéral, l’idée de s’y coller a quelque chose de très rebutant. ProjetJ a demandé à deux spécialistes de la chose, Monique Dumont, ex-recherchiste à l’émission Enquête, à l’antenne d’Ici Radio-Canada télé, et Jean-Louis Fortin, adjoint au directeur de l’information au Journal de Montréal, en charge de former ses collègues de Québecor, de révéler quelques-unes de leurs astuces.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

Contourner la loi d’accès à l’information

«Le mieux, c’est même de ne pas avoir à passer par l’accès à l’information, explique Jean-Louis Fortin en préambule. L’idéal, c’est de parvenir à avoir les documents via ses sources ou les porte-paroles des organismes soumis à la loi. C’est un travail de longue haleine, qui demande de développer des contacts solides, de confiance, avec les gens qui détiennent de l’information. L’accès à l’information ne vient que dans un deuxième temps, lorsque toutes les autres pistes se sont soldées par un échec. Mais il faut alors savoir exactement ce que l’on cherche pour espérer l’obtenir.»

La demande d’accès à l’information permet cependant de protéger ses sources, estime pour sa part Monique Dumont.

«Un document officiel va souvent être codé, ce qui permet de l’arrimer à toutes les personnes qui sont en sa possession, donc d’identifier une potentielle source journalistique, explique-t-elle. L'accès à l’information est alors un moyen éventuel de se procurer le dit document. En l’obtenant de manière officielle, on ne grille pas sa source.»

Faire une recherche approfondie

Avant de se lancer dans une demande d’accès à l’information, il faut avoir bien fait ses devoirs.

«Il faut savoir s’il existe des documents gouvernementaux, provinciaux, fédéraux, municipaux, scolaires, puisque l’accès à l’information touche tout ce qui est administration gouvernementale et organismes publics, susceptibles d’aider au développement du sujet sur lequel on travaille. Pour cela, vous pouvez faire appel à vos sources ou faire une recherche comme pour n’importe quel autre dossier. La loi porte sur l’accès aux documents, donc pour faire une demande, il faut qu’il y ait des documents, qu’ils soient électroniques, papier, des cartes, des photographies, des dessins, des enregistrements, etc. Et qu’il soient détenus par un ou plusieurs organismes publics.»

Récupérer le plus de documents possibles avant que le dossier ne soit chaud

«Tout journaliste qui est sur un beat particulier devrait régulièrement faire des demandes de documents concernant les dossiers qu’il couvre pour compléter ses articles ou les ressortir plus tard, estime Monique Dumont. Moi, je faisais ça tous les vendredis à 16h, histoire de donner un peu de travail aux fonctionnaires le lundi matin! Dès qu’un dossier arrive dans l’actualité, ça devient plus difficile d’obtenir les documents. Mais si vous les avez demandés avant, vous avez un coup d’avance.»

Et l’ex-recherchiste de raconter qu’à Enquête, ils avaient fait les demandes d’accès sur les contrats municipaux et ceux du ministère des transports, lorsque le sujet n’était pas encore dans l’actualité. Ce qui leur a permis de fabriquer des bases de données et de mettre en ondes une fois toute l’information amassée.

A contrario, ajoute-t-elle, lorsque le train a explosé à Lac-Mégantic en juillet dernier, tous les journalistes ont fait des demandes d’accès à l’information concernant la sécurité ferroviaire et le contenu des trains de marchandise. Si certains avaient mis à jour leurs dossiers en amont, ils auraient pu avoir l’exclusivité et développer plus vite des angles originaux.

Envoyer sa ou ses demandes

Les demandes se font aujourd’hui généralement par courriel. Il est très simple de trouver le responsable de l’accès à l’information dans les différents organismes puisque la Commission d’accès tient un registre remis à jour tous les lundis.

Une demande au provincial est gratuite, alors qu’il faut payer 5 dollars au Fédéral pour ouvrir un dossier. Dans certaines provinces, il faut cependant débourser jusqu’à 25 dollars, ce qui fait dire à Monique Dumont, qu’il existe toute sorte de façons de restreindre l’accès.

«La demande doit être la plus précise possible, explique Jean-Louis Fortin. Si on connait le titre et la date du document, il faut l’indiquer. Si on tombe sur un fonctionnaire paresseux, ça lui enlève des chances de mentir. Parfois, c’est plus compliqué et on jette juste une ligne à l’eau. Si je prends l’exemple des moisissures dans les écoles. On sait qu’il existe des documents, mais on ne sait pas de quand ils datent, s’ils concernent une école, une commission scolaire, etc. Ça n’empêche pas d’essayer. Quoi qu’il en soit, je rajoute toujours une ligne indiquant que je suis preneur de tout autre document susceptible de répondre à la question. Parfois, on est chanceux, on tombe sur un fonctionnaire qui fait du zèle, et on reçoit quelque-chose d’intéressant dont on ignorait l’existence.»

Il peut également être opportun de faire des demandes croisées. S’il s’agit par exemple d’un dossier en environnement, il est fort probable que les documents se trouvent à la fois au fédéral, au provincial, dans les municipalités concernées, etc.

Connaitre les restrictions

La loi provinciale, pour ne parler que d’elle, dispose d’une quarantaine de restrictions de nature à restreindre l’accès, tous énumérés à la section 2.

«Bel exemple qu’on a eu récemment dans l’actualité, c’est la fameuse question des avis juridiques relatifs à la Charte, relate Monique Dumont. Si vous les demandez, ça tombe sous une exception qui est le secret professionnel ou les documents du cabinet.»

«La loi dit également que les organisations ne sont pas tenues de donner des calculs et des analyses mais plutôt des renseignements bruts, ajoute Jean-Louis Fortin. Si vous demandez la liste des dix entreprises ayant obtenu le plus de contrats avec le ministère des transports, ça vous sera refusé. Il faut donc demander le document complet, listant toutes les entreprises ayant obtenu des contrats, et faire ensuite vous-même votre compilation.»

Une réponse sous trente jours

L’organisme public bénéficie d’un délai de vingt jours, fins de semaine comprises, pour communiquer avec le demandeur… mais c’est alors généralement pour le prévenir qu’il va prendre les dix jours supplémentaires dont il a droit pour statuer, s’entendent les deux spécialistes.

«Je demande toujours un accusé de réception à mon courriel afin de m’assurer que le délai court, explique Jean-Louis Fortin. Mais quoi qu’il en soit, il est bien rare que les trente jours soient tenus. Les organismes commencent par ne pas accuser réception, puis, au bout de vingt jours, communiquent pour dire qu’ils vous reviennent sous dix jours, et seulement plusieurs semaines après, on reçoit une décision.»

Durant toute sa carrière à Enquête, Monique Dumont dit avoir eu des réponses positives une fois sur deux environ.

«Mais positif ne signifie pas forcément satisfaisant, précise-t-elle. Car la plupart du temps, les documents arrivent caviardés.»

«Les réponses sont très souvent décevantes, confirme le directeur adjoint de l’info au Journal de Montréal. C’est frustrant pour nous en tant que journaliste, parce qu’on sait que c’est d’intérêt public et que nos lecteurs ont le droit de savoir.»

Il nuance cependant, précisant que les décisions sont très inégales. Si Hydro Québec reste le mouton noir en matière d’accès aux documents, la Société des Ponts Jacques Cartier et Champlain se serait fortement améliorée ces dernières années.

Des frais de reproduction peuvent être demandés, qui à 30 cents la copie peuvent vite faire exploser la facture. Mais qui peuvent aussi être évités en demandant une copie numérique. Des frais de recherche et de compilation peuvent cependant être parfois requis.

Médiation ou révision devant la Commission d’accès à l’information

En cas de refus, ou si les documents arrivent incomplets ou trop caviardés, il est possible d’aller en médiation.

«Avec certains organismes, comme Hydro Québec, ce n’est pas la peine de se fatiguer avec cette étape, conseille cependant Monique Dumont. C’est de la pure perte d’énergie.»

Si on n’accepte pas la médiation, ou si celle-ci échoue, le dernière étape consiste en une demande de révision auprès de la Commission d’accès à l’information… qui peut prendre deux ans et parfois plus! Assez pour que le sujet ne soit plus du tout d’actualité.

Il est possible de se présenter seul pour faire son plaidoyer ou, comme c’est le cas chez Québecor, de se faire représenter par un avocat.

«Dans un monde idéal, on contesterait chaque refus, mais souvent, lorsqu’un cas de restriction est évoqué notamment, et malgré l’excellent service de contentieux que nous avons ici, ça ne sert vraiment à rien d’aller devant la Commission», avoue Jean-Louis Fortin.

«Ça ne coute rien d’essayer, croit pour sa part Monique Dumont. À part du temps. Je comprends que pour les pigistes, ça puisse être un frein, mais pour les journalistes qui travaillent dans une entreprise de presse, ça fait partie de leurs attributions. Faut juste être patient!, conclut celle qui avoue s’amuser beaucoup avec l’accès à l’information. En ce moment, je fais des demandes sur les années 30 et 40! Et même là, j’essuie des refus!»

Quant à Jean-Louis Fortin, il attend toujours l’accusé de réception d’une demande envoyée par courriel il y a tout juste une semaine…

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