Élections 2011: les sondages en manchette

Pour
la première fois, les néo-démocrates pourraient former
l’Opposition officielle à la chambre des communes, d’après les
sondeurs de
Ekos, Nanos,
Environics et Forum Research. Cette nouvelle fait les gros titres de
la majorité des médias nationaux depuis plusieurs jours, démontrant
une nouvelle fois l’énorme poids des sondages dans la couverture de
la campagne électorale. La fiabilité de ces enquêtes d’opinion ne
cesse pourtant d’être mise en doute.

En
2002, en France, aucun sondage préélectoral n’avait prévu
l’accession du candidat d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, au
second tour des élections présidentielles. Les sondeurs prévoyaient
plutôt unanimement un face à face traditionnel entre le socialiste
Lionel Jospin et le président sortant Jacques Chirac. Un phénomène
similaire s’est produit au Québec en 2007. Aucun sondage n’avait
prévu que l’Action démocratique du Québec (ADQ) deviendrait
l’Opposition officielle. Le parti a raflé 31% des suffrages alors
que quelques jours avant le scrutin, un sondage Crop lui attribuait
25% des intentions de vote.

Représentativité des échantillons

Les sondeurs eux-mêmes doutent de
leurs enquêtes. «Notre
capacité à fournir des résultats fiables à partir d’échantillon
représentatif de la population n’a probablement jamais été si
mince depuis que la discipline s’est imposée au Canada, il y a 30 ou
35 ans», confie Allan
Gregg, le président de la firme de sondage Harris-Decima, à
CBCnews.ca. Il pointe une combinaison de failles qui pèsent
sur la fiabilité des sondages.

Au plan méthodologique, s’il y a 30
ans le taux de réponse à un sondage était de 60 à 70%, il n’est
plus aujourd’hui que de 15%. De plus en plus de personnes filtrent en
effet les appels et ne répondent pas aux sondeurs, tandis que
d’autres n’ont pas de ligne fixe, mais un téléphone mobile ce qui
les exclut d’office des listes d’appels.
«À
l’arrivée, les
électeurs les plus modestes, les moins diplômés, les plus jeunes
sont quasiment absents des échantillons»,
explique à ACRIMED le professeur Patrick Lehingue auteur de Subunda,
Coups de sonde dans l’océan des sondages.

Ce
problème de représentativité de l’échantillonnage se transporte
également sur Internet ou les sondeurs migrent de plus en plus. Or,
ils y rejoignent une tranche de la population globalement plus jeune,
plus urbaine et plus éduquée que la moyenne, donc qui n’est pas non
plus représentative de l’ensemble de l’électorat. En 2006,
Harris-Decima a mené une étude sur une série de sondages
électoraux en ligne et au téléphone. Cette analyse a révélé que
les néo-démocrates sont généralement favorisés par les enquêtes
sur Internet étant donné leur échantillonnage.

Qualité
de l’information

Les
problèmes de méthode ne sont pas seuls à miner la fiabilité des
sondages. Allan Gregg estime également que ces enquêtes souffrent
de pressions commerciales et du développement d’une relation
malsaine entre sondeurs et médias. Il explique que les sondages
électoraux sont offerts à prix réduit aux médias, voire gratuitement, car ils servent en fait de faire-valoir aux sondeurs
qui gagnent leur vie en faisant des sondages de consommation.

Pour
Patrick Lehingue, «une couverture médiatique en termes de course de
petits chevaux» n’engendre pas une information de qualité, car elle
éclipse les enjeux.
«On néglige ce faisant les dimensions du bilan, des
programmes et des perspectives que devrait revêtir toute campagne
électorale dans une démocratie digne de ce nom».
Pour ce professeur de sciences politiques de l’Université d’Amiens,
en valorisant autant les enquêtes d’opinion, les journalistes
«contribuent à discréditer leur propre profession, à condamner
les enquêtes de terrain et le travail d’investigation qui font
l’intérêt et l’honneur de ce métier».