Dès
sa toute première émission la semaine dernière, Ezra Levant de
Sun
News
s’en est pris à
Radio-Canada et CBC en décriant notamment la Boussole électorale
.
Comme plusieurs critiques, le
polémiste estime que cet outil, censé situer les opinions des
électeurs par rapport aux programmes des partis politiques,
a
un biais pour le Parti libéral du Canada. L’ombudsman de
Radio-Canada, Julie Miville-Dechêne, répond que la boussole est «un
jeu séduisant mais imparfait».

Les limites méthodologiques

L’ombudsman s’est entretenue avec les
concepteurs de cet outil conçu aux Pays-Bas puis adapté à la
réalité canadienne par des chercheurs de l’Université de Toronto
avec le concours d’universitaires québécois. Quelques-uns lui ont
fait part des limites des choix méthodologiques qui
expliqueraient pourquoi la boussole pointe si souvent vers les
libéraux.

D’une part, tous les enjeux sont
ramenés à l’axe économique ou l’axe social ce qui crée des
distorsions. «Prenons par exemple un électeur qui serait plutôt en
désaccord avec un meilleur accès à l’avortement, mais qui veut
voir un peu plus d’immigrants admis au Canada. La grille est
construite de telle façon qu’une réponse annule l’autre.
Autrement dit, ces deux réponses – l’une plus “conservatrice”,
l’autre plus “progressiste”
– sont l’équivalent d’une réponse neutre, au centre de
l’échiquier, justement où les libéraux se situent», explique
l’ombudsman sur son blogue.

D’autre part,
l’outil souffre d’un problème de calibrage, car les 30
questions qu’il pose ont exactement la même pondération. Ainsi, la
question nationale n’a pas plus de poids que celle sur la
légalisation de la marijuana. Il saisit également mal les
nuances en classant systématique l’électeur dans le camp
libéral s’il clique toujours sur la case à l’extrême droite ou à
l’extrême gauche, ce qui revient à donner 15 réponses
progressistes et 15 autres conservatrices.

Codirecteur de l’analyse
pour la Boussole électoral, Yannick Dufresne, admet qu’elle sacrifie
la complexité: «Elle est imprécise, mais elle simplifie une
réalité hyper complexe. […] Pour atteindre la clarté, fallait
sacrifier la complexité», explique-t-il dans La Presse.

L’art de faire parler de soi

Julie Miville-Dechêne souligne que le
réseau public est conscient des faiblesses méthodologiques de
l’outil. Néanmoins, elle estime que «Radio-Canada aurait pu rendre
compte un peu moins discrètement du débat et des faiblesses
méthodologiques de son outil interactif». En effet, la chaîne a
très peu fait état des critiques à l’égard de son outil,
alors que plusieurs ont été émises dans l’espace public. Outre
Ezra Levant, le chroniqueur Yves Boisvert de La Presse, de
même que le professeur de philosophie politique, Charles Blattberg,
dans The Gazette, ont jugé l’outil pour le moins déroutant.

Par ailleurs, alors que l’issue de la
campagne électorale approche et que le réseau public tente de
cerner les tendances
qui se dégagent de cet exercice, Julie-Miville
Dechêne met en garde quant à l’utilisation des données
recueillies: «ces données devront être utilisées avec précaution,
car, après tout, les participants à la Boussole ne constituent pas
un échantillon représentatif. Il s’agit plutôt d’un
gigantesque vox pop
!».

Elle note également que ce vox
populi
est aussi une opération publicitaire qui a
attiré plus d’un million et demi d’internautes vers la marque à la
pizza rouge. Radio-Canada ne s’en cache pas. Elle s’en vante même
dans la section «Nouvelles électorales» de son site web.

Tout ceci
flirte dangereusement avec l’infopub, estime Amy King dans The
Record
: «Alors que j’écoutais The Current, une émission
matinale de CBC, une publicité pour la Boussole électorale a été
diffusée. La publicité disait que la boussole ferait de moi une
électrice mieux informée. Juste après, The Current a
consacré une demi-heure à une sorte d’infopub déguisée en
reportage pour la boussole.»