Éditeurs et annonceurs se reprochent mutuellement un manque d’innovation

Tout ce beau petit monde était réuni ce matin à l’invitation de HEC Montréal pour réfléchir à la meilleure façon de se sortir ensemble de la souricière numérique. De conférences en tables rondes, tous ont exposé les problèmes auxquels ils sont confrontés et leurs pistes de solutions. Chacun se renvoyant cependant constamment la balle.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

Tout ce beau petit monde était réuni ce matin à l’invitation de HEC Montréal pour réfléchir à la meilleure façon de se sortir ensemble de la souricière numérique. De conférences en tables rondes, tous ont exposé les problèmes auxquels ils sont confrontés et leurs pistes de solutions. Chacun se renvoyant cependant constamment la balle.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

«Tous les quotidiens voient la souricière numérique qui se rapproche, raconte Dany Doucet, rédacteur en chef au Journal de Montréal. Et nous souhaitons tous être la dernière souris à se faire prendre.»

Une métaphore de la souricière qui a tourné en boucle ce matin, chacun avouant y aller à tâtons, et tentant de trouver sa propre solution, son propre modèle d’affaires adapté à la fois à sa marque et au nouvel environnement numérique dans lequel tous les médias évoluent.

Mais quel que soit le modèle choisi, gratuit, mur payant, abonnement, socio-financement, appel à la philanthropie même, tous avouent être handicapés par le départ des annonceurs, qui se voient proposer sur internet une multitude de solutions autres, que de publier leur publicité dans les médias d’information.

Faux, rétorquent les accusés, arguant d’une part que leurs budgets s’en vont encore majoritairement sur le papier, et d’autre part que s’ils ont fui, c’est par manque d’audace et d’innovation de la part des journaux traditionnels.

«Les quotidiens d’information, dans lesquels on retrouve des journalistes d’expérience, sont des produits que la population juge crédible, avec du contenu pertinent, explique Joey Adler, présidente Canada de la marque Diesel. Bien sûr que nous avons encore envie et besoin d’annoncer à ces endroits. Ça reste très pertinent pour nous lorsque nous avons un message clair, direct, précis, momentané, à faire passer. Or, nous ne nous y retrouvons plus. Il y a un manque d’imagination criant de la part du papier. Réveillez-vous!»

Une jungle qui effraie

Unanimité de la part des agences de placement média présentes autour de la table. Selon elles, leurs clients resteraient très traditionnalistes, attirés par le papier et encore mal à l’aise avec internet, la mobilité et donc la publicité ciblée

«Par exemple, explique André Morrow, de Morrow Communications, plusieurs fois j’ai des clients qui sont revenus me voir en me disant qu’ils n’avaient pas vu leur publicité en page d’accueil de tel site… la raison était toute simplement, ils n’en étaient pas la cible. Le web est encore une jungle qui effraie, poursuit-il. L’efficacité d’une campagne y est difficilement mesurable. De ce point de vue, le quotidien papier a un atout. Mais il ne le joue pas bien.»

Mai Duong, de chez Touché PHD, la petite jeune de l’assistance, estime par exemple qu’annoncer dans un quotidien coute beaucoup trop cher.

Selon elle, «il est inconcevable de devoir payer plus pour un publicité en couleur alors même qu’à la télévision, sur internet, tout est en couleur et beaucoup plus dynamique.»

Quant à Simon Cazelais, de l’agence BleuBlancRouge, il tire la sonnette d’alarme et nuance  l’amour que portent ses clients au papier.

«Pour l’instant, ce sont les boomers qui sont aux postes clés et qui choisissent où annoncer. Or, cette génération est une lectrice de journaux papier. Il y aura probablement des changements lorsque les plus jeunes vont prendre ce postes.»

Marketing de contenu

Raison pour laquelle les quotidiens prennent tous le virage numérique. Avec plus ou moins d’entrain et de ferveur, mais tous réfléchissent à un plan de sortie de crise.

«Toutes les études s’accordent aujourd’hui à dire que d’ici dix ans, l’information juste moyenne aura disparu, rapporte Blandine Grosjean, rédactrice en chef du pure player français Rue89. Il restera d’un côté la nouvelle, gratuite et partagée, et de l’autre de l’information approfondie, des enquêtes, reportages au long cours, des sujets traités sous un angle nouveau avec de la recherche, des analyses, etc. Et ça, ça sera payant. Ça nous fend le cœur à Rue89 parce que nous sommes nés dans l’idéalisme de la gratuité du net. Mais aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence que faire un reportage en Syrie ou enquêter sur des malversations à l’Assemblée nationale, ça coute cher. Et il faut bien que quelqu’un paie.»

Patrick White, rédacteur en chef du Huffington Post Québec, estime quant à lui qu’une des planches de salut viendra du marketing de contenu. Exemple: quand Air Canada, sponsorise une rubrique sur les destinations voyage.

«Sauf qu’il sera alors difficile de critiquer Air Canada», rétorque Bernard Descôteaux, éditeur du Devoir, venu lui aussi expliquer comment le journal indépendant voit son avenir. Avenir qui passera par un application tablette payante, certainement à l’automne 2014, mais qui ne proposera pas une édition quotidienne figée, contrairement à La Presse+, mais bien de l’information en continu. Quant au papier, il survivra, mais peut-être plutôt sur une base hebdomadaire, et avec des articles plus approfondis.

La Presse+ qui aura été la grande absente de ce panel. Alain Dubuc, chroniqueur à La Presse et animateur de la table ronde, a bien apporté quelques éléments d’information, mais rien que l’on ne sache déjà.

La Presse+, une belle expérimentation

Un modèle que les agences de placement avoue pourtant regarder de très près, même si elles n’y voient pour l’instant qu’une expérimentation et qu’elles ne souhaitent donc pas en tirer trop de conclusions.

«Je n’ai aucun problème à le recommander à un client même s’il faut travailler un peu plus pour s’adapter au format, assure Mai Duong. La Presse+ est un très beau produit, engageant, agréable, les publicités sont au top et bien mises en valeur. Pour moi, c’est du bonbon.»

«C’est une belle preuve d’innovation, confirme Simon Cazelais. Ça démontre qu’il faut être patient. Il y a des expérimentations, tout le monde doit apprivoiser la bête. Nous ne sommes qu’au début de ce que la mobilité va nous permettre de faire.»

Même analyse de la part de Pierre Delagrave chez Cossette, à une nuance près qu’il faudrait maintenant que d’autres embarquent.

«On ne peut pas créer indéfiniment un produit juste pour un journal, conclut-il. Si La Presse+ reste trop longtemps seule sur ce segment, il se peut que ce soit un échec.»

À voir aussi:

Les journaux face à leur destin