Dans une lettre publiée ce matin par plusieurs quotidiens à travers le Québec, Pierre Karl Péladeau prend la défense de Radio-Canada, pourfend les récentes compressions et affirme que l’information n’est pas une «simple marchandise», laissant ainsi entrevoir une nouvelle facette de sa personnalité.

Dans une lettre publiée ce matin par plusieurs quotidiens à travers le Québec, Pierre Karl Péladeau prend la défense de Radio-Canada, pourfend les récentes compressions et affirme que l’information n’est pas une «simple marchandise», laissant ainsi entrevoir une nouvelle facette de sa personnalité. Une sortie qui ne laisse personne indifférent, même s’ils sont peu nombreux dans le petit monde des médias à vouloir prendre publiquement position.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

«Surpris, et pas qu’un peu, avoue Stéphane Baillargeon, chroniqueur média au journal Le Devoir, qui raconte avoir fait une double vérification lorsqu’il a reçu la lettre hier, pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un canular. C’est une véritable étrangeté, cette sortie. Qu’il dénonce les compressions, qu’il dénonce les mises à pied et qu’il se décrive comme un ami de Radio-Canada… ça me parait vraiment étrange si je regarde son passé. Mais tant mieux. Les gens ont le droit de changer d’idées ou de préciser leurs pensées. Peut-être qu’on avait mal compris ce qu’il pensait…»

Dans une lettre publiée ce matin dans la plupart des quotidiens au Québec, Pierre Karl Péladeau, et son cosignataire Stéphane Bergeron, lui aussi député péquiste, affirment qu’«en plus d’offrir une information locale, régionale et nationale de grande qualité, la SRC est le télédiffuseur qui offre aux citoyens québécois la plus grande variété et diversité d’information internationale. L’information n’est pas une simple marchandise, mais l’un des piliers les plus névralgiques de notre société démocratique. C’est pourquoi la réduction de l’offre de nouvelles à la SRC constitue un recul pour le Québec.»

Et M. Baillargeon d’énumérer ce qui lui avait fait croire que M. Péladeau souhaitait plus la mort du télédiffuseur public que sa survie.

«Il a mené une guerre féroce contre la direction de la SRC, dénonçant des  dépenses jugées ostentatoires et son manque de transparence, ce qu’il rappelle d’ailleurs en préambule de sa lettre. Son idéologie libérale le menait à nier jusqu’à l’existence même d’un diffuseur public qui vivrait de subventions. Il souhaitait une situation à l’américaine. La preuve, c’est qu’il a lancé Sun News Network, une chaine qui carbure presqu’exclusivement à la haine de Radio-Canada. Les animateurs en font une obsession, eux qui traitent continuellement CBC de «Communist broadcasting corporation». Ils la perçoivent comme un nid de gauchistes absolus».

Un texte politique

[Paragraphe suivant modifié à 17h25]

Un point de vue que ne partage pas François Bugingo, animateur à TVA. Il y aurait selon lui, une différence entre l’homme d’affaires et la personne privée, et c’est cette deuxième facette que ce dernier dévoilerait maintenant qu’il est en politique.

«Dans l’esprit, c’est ce qu’il a toujours dit, affirme-t-il. Il écoute Radio-Canada. C’est quelqu’un qui se nourrit de l’information. Il trouve que c’est quelque-chose d’essentiel. C’est ce qu’il me répétait dans les relations que je pouvais avoir avec lui. Ce qui est intéressant, c’est que ce matin, c’est l’homme politique qui parle, ce n’est plus le magnat des médias. Parce que lorsqu’il avait la première casquette, il rajoutait toujours, «en notant que Radio-Canada fasse véritablement son travail au service de l’éducation et de la grande culture canadienne, sans être en compétition avec le service privé». Ça, c’est l’ajout qu’il se permettait avant, et dont aujourd’hui, en tant que politicien, il s’abstient.»

Un texte politique, c’est aussi comme cela que Pierre Roger, président de la Fédération nationale des communications (CSN-FNC) le perçoit.

«Il rentre dans son rôle de politicien, croit-il. Il s’adapte à sa nouvelle fonction. Je suis plus ou moins surpris par la teneur de cette lettre car ce n’est pas la première fois qu’il se porte à la défense de Radio-Canada depuis qu’il est candidat. C’est sûr qu’on a plutôt été habitué, dans les médias de Pierre Karl Péladeau, à entendre des attaques à l’endroit de Radio-Canada. Mais apparemment la politique, ça transforme son homme.»

Donneur de leçons?

La FNC qui prend note de cette déclaration mais qui attend maintenant les actes pour juger de sa véritable transformation et de son passage au service des Québécois, et non plus du milieu d’affaires et des lobbies.

«D’une part, on a hâte de savoir ce qu’il va advenir de ses parts dans Québecor, explique-t-il. Il faut qu’il y ait un débat, pas que l’on ne fasse pas confiance aux journalistes qui travaillent au sein de cet empire, mais pour être certain qu’il n’y ait pas d’autocensure. Ensuite, quelles vont être ses positions par rapport au monde des relations de travail, notamment sur la notion d’établissement, qui avec l’internet et la mobilité ne peut plus être la même qu’au 20e siècle? Ça a joué un rôle important dans les lock-out au Journal de Montréal et au Journal de Québec et à l’époque, il trouvait ça bien correct. Qu’en est-il aujourd’hui? Nous l’attendons là-dessus.»

De son côté Stéphane Baillargeon fait valoir que si le député Péladeau dénonce aujourd’hui les compressions à Radio-Canada, l’homme d’affaires ne s’est pas gêné pour y avoir recours.

«Il n’est peut-être pas le mieux placé pour donner des leçons, lui qui a réduit la salle de nouvelles du Journal de Montréal de pratiquement les trois quarts de ses effectifs», estime le chroniqueur du Devoir, ajoutant que ce qui le surprend moins, c’est l’hyper-pragmatisme dont PKP fait preuve.

«Il a toujours eu des principes modulables en fonction de ses intérêts, analyse-t-il. Il a plaidé pour en finir avec le financement public de Radio-Canada tout en demandant au CRTC que Sun News Network fasse partie des chaines figurant dans le bouquet obligatoire. Quelle différence finalement?»

Principes modulables

Une analyse que semble partager Alex Levasseur, président du Syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC).

«On accueille cette conversion avec joie!, lance-t-il avec un brin d’ironie dans la voix. C’est curieux ce revirement, ajoute-t-il. Lorsqu’il était à la tête d’un média privé, il ne voyait pas l’intérêt du service public et il trouvait que l’information était une marchandise comme une autre. Débarqué en politique, il semble maintenant en comprendre la pertinence. Il semble se comporter en fonction du chapeau qu’il porte. Si c’est sincère, tant mieux. En espérant que ce ne soit pas du pur opportunisme politique.»

Du côté du Conseil de Presse, on préfère ne pas faire de suppositions et ne pas porter de jugement sur ce revirement, mais plutôt souligner l’engagement du désormais député Péladeau aux côtés de tous ceux qui souhaitent que le Québec continue à avoir des médias en santé.

«On comprend que certains se posent des questions, notamment lorsque PKP dit que l’information n’est pas une simple marchandise, précise son secrétaire général Guy Amyot. À ces critiques, il faut cependant apporter des nuances. Oui, Québecor est une entreprise privée et à ce titre, cherche à faire  des bénéfices, mais ça ne veut pas dire qu’il s’y fait du mauvais journalisme. Il y a maintenant une cellule d’enquête, les pages opinions ont été rééquilibrées. La seule chose que nous contestons au Conseil, c’est que le groupe refuse les mécanismes d’imputabilité et d’autorégulation. Qu’il revienne au Conseil de presse! Et ça ne veut pas dire qu’il va se faire taper sur les doigts.»

Quoi qu’il en soit, ce soudaine déclaration d’amour de Pierre Karl Péladeau pour le radiodiffuseur public ne laisse pas indifférent et la twittosphère s’est d’ailleurs emballée à ce sujet. Beaucoup d’analystes et autres artisans de l’information ont cependant préféré «passer leur tour» et ne pas répondre aux questions de ProjetJ cette fois-ci. Quant aux dix-sept animateurs vedettes de Radio-Canada ayant cosigné une lettre dans laquelle ils se disent inquiets quant à l’avenir de leur employeur, dont Pierre Craig, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), ils se sont mis d’accord pour ne faire aucune autre sortie publique en dehors de leur présence à Tout le monde en parle dimanche soir dernier.

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