Côte d’Ivoire: la situation des journalistes est gravissime

Aucun journal n’a été distribué
aujourd’hui en Côte d’Ivoire, pays secoué par une profonde crise
politique depuis bientôt quatre mois. Le président sortant,
Laurent Bagbo, refuse de céder le pouvoir à son rival Alassane
Ouattara bien que la Commission électorale indépendante (CEI) l’ait
proclamé vainqueur de même que l’Union africaine (UA).

Depuis le début de la crise, la
situation des journalistes, autant locaux qu’étrangers, ne cesse de
se dégrader. Aujourd’hui, Reporter Sans Frontières (RSF) tire la
sonnette d’alarme qualifiant la situation des journalistes et des
médias sur place de «gravissime». «Menacés, inquiétés, exposés
aux règlements de comptes et risquant parfois leur vie lors de
reportages dans certains quartiers, les journalistes subissent une
situation impossible», écrit l’organisation.

Deux journalistes ivoiriens sont emprisonnés depuis fin janvier et un employés d’imprimerie a été sauvagement
assassiné à coup de machette et de gourdin le 28 février. Du côté des médias
étrangers, on ne dénombre aucune victime. Toutefois, l’hostilité à
l’égard des journalistes occidentaux est palpable. Le clan de
Laurent Gbagbo les accuse en effet de vouloir déstabiliser le pays.

Les affrontements entre les deux rivaux
menacent plus que jamais de plonger le pays dans la guerre civile.
L’UA, réunie hier à Addis-Abeba en Éthiopie, n’a en effet pas
réussi à calmer le jeu. Elle a reconnu le résultat du scrutin tel
qu’annoncé par la CEI et demandé à Alassane Ouatara de faire
preuve d’ouverture dans la formation de son gouvernement afin
d’offrir une sortie honorable à son rival, mais les représentants
de Laurent Bagbo ont rejeté en bloc cette proposition.

Réplique du cauchemar rwandais?

Depuis mi-décembre, les heurts entre
les partisans des deux camps ont fait près de 400 morts, selon
l’ONU, dont une trentaine au cours de la dernière semaine alors
qu’une guérilla urbaine sanglante fait rage dans la
capitale. Une mer de sang à laquelle les médias ne seraient pas
étrangers. En effet, en décembre déjà, le quotidien burkinabé Le
Pays
s’inquiétait de la forte polarisation des médias ivoiriens:

«Les médias proches des deux parties,
surtout la presse écrite, font montre d’un certain zèle dans la
défense de la position de leur mentor, et ce, souvent envers et
contre les règles les plus élémentaires de la déontologie. Des
documentaires brûlants aux relents xénophobes sont diffusés, et
des informations explosives publiées. Des horreurs qui ont heurté
les consciences à travers le monde comme le génocide rwandais
interviennent dangereusement dans la campagne de propagande de
certains médias.»

Au Rwanda, plusieurs responsables de
radio ont été reconnus coupables d’avoir poussé au génocide en
1994. Surnommées «Radio-Télé-la-Mort» ou «Radio-machettes»,
elles indiquaient aux miliciens hutus où se trouvaient les Tutsis et
Hutus modérés et appelaient la population à «exterminer les
cafards».

Les médias ivoiriens sont eux aussi accusés depuis
plusieurs années d’attiser la haine au sein de la population.
En 2005 déjà, RSF appelait à «désarmer les esprits, les plumes et les
micros» en Côte d’Ivoire dans un rapport d’enquête remis à l’ONU.

Voir aussi: Côte d’Ivoire: les médias choisissent leur camp