Congrès de la FPJQ: vifs débats sur le titre professionnel

Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Brian Myles, avait la mine basse à l'ouverture du congrès annuel de son organisation, vendredi, au Château Frontenac. Face à lui, plusieurs de ses membres, qui ont voté en masse pour un titre de journaliste professionnel (JP) au printemps, ne comprenaient pas sa volte-face dans ce dossier, à l'occasion des consultations publiques sur l'avenir de l'information organisées par la ministre Christine St-Pierre.

Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Brian Myles, avait la mine basse à l'ouverture du congrès annuel de son organisation, vendredi, au Château Frontenac. Face à lui, plusieurs de ses membres, qui ont voté en masse pour un titre de journaliste professionnel (JP) au printemps, ne comprenaient pas sa volte-face dans ce dossier, à l'occasion des consultations publiques sur l'avenir de l'information organisées par la ministre Christine St-Pierre.

Suite au dépôt du Rapport Payette qui recommandait la création d'un titre de JP, 86,8% des membres professionnels de la FPJQ ont dit oui, en avril, à l'implantation de ce statut. Fort de cet appui massif de ses membres, Brian Myles a défendu la création d'un titre de JP sur toutes les tribunes au cours des mois suivants. Invité en octobre à participer à une table ronde organisée à Toronto par la Fondation pour le journalisme canadien (éditrice de ProjetJ), il a même déclaré devant un parterre de journalistes et d'enseignants sceptiques: «Cela va peut-être vous paraître étonnant, mais je suis en faveur de la certification professionnelle, et peut-être cela va vous paraître encore plus étonnant, mais je vais être réélu pour ça».

Or, mi-novembre, incapable de s'entendre avec le Conseil de presse (CPQ) sur les modalités de gestion de ce titre réservé. La FPJQ a déclaré à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine qu'elle n'appuierait pas le projet s'il devait être porté par un autre organisme qu'elle. «Un titre où le monde journalistique est un passager dans l'autobus et n'a pas les deux mains sur le volant est un outil qui nous inspire une certaine crainte», déclarait Brian Myles.

La FPJQ et le CPQ à couteaux tirés

Il a répété cette formule à ses membres alors qu'il faisait le bilan de l'année écoulée vendredi. Il a martelé que la FPJQ et le CPQ s'opposent sur des valeurs fondamentales. Au fond de la salle, le secrétaire général du Conseil de presse, Guy Amyot, affichait un air renfrogné. Appelé à s'exprimer au micro (par l'auteure de ces lignes), il s'est heurté à un président de la FPJQ qui lui a littéralement tourné le dos. Alors que Guy Amyot appelait à une reprise du dialogue, Brian Myles déclarait que leurs positions respectives étaient irréconciliables et qu'il préférait arrêter les négociations et attendre une proposition concrète du ministère. Le ton était donné. Tout le week-end, les deux camps allaient se livrer à un véritable chassé-croisé lourd de plusieurs semaines de discussions conflictuelles en coulisse.

«Il y a des choses qui ont été dites en public qui ne correspondent pas à la réalité des négociations», explique le journaliste Nicolas Langelier qui vient tout juste de quitter le conseil d'administration de la FPJQ après un mandat de deux ans. Selon lui, si en public c'est Brian Myles qui semble le plus fermé, en privé c'est du côté du Conseil de presse qu'il faudrait regarder. «Je suis content que Guy Amyot ait signifié son intention de chercher un compromis avec la FPJQ, mais jusqu'à présent ce n'est pas ce qu'il a démontré. Il n'a pas montré un réel désir de tenir compte des préoccupations de la fédération dans la recherche d'un consensus. Il n'était pas ouvert à une négociation», raconte-t-il.

(Paragraphe modifié post-publication) Ancien président de l'Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), Nicolas Langelier précise néanmoins que la FPJQ tient mordicus à garder le haut du pavé dans les négociations. «Je ne voulais pas que ce dossier devienne un terrain de chicanes, de guerres de territoire. Dès le départ, quand j'ai participé aux réunions du groupe de travail de Mme Payette, le corporatisme me faisait peur. J'avais dit: «je veux un titre professionnel, mais je ne veux pas qu'on sacrifie le statut pour des guerres de corporations». C'est ça qui est en train de se passer», poursuit-il.

La FPJQ prône la création d'un titre identitaire qui ne serait assorti ni de contraintes ni de privilèges, mais lié au respect d'un code de déontologie. De son côté, le CPQ souhaite donner des dents au statut professionnel et réclame même une loi pour obliger les entreprises de presse à se soumettre au tribunal d'honneur de la profession. Au moment du référendum de la FPJQ, au printemps, la position du Conseil de presse n'était pas encore ficelée, tandis que celle de la FPJQ était claire puisque c'est en fait un projet de création de titre s'étalant sur deux pages qu'elle a soumis au vote.

La source du conflit

La source du conflit actuel est inscrite au cœur même de ce projet qui prévoit que «l'octroi du titre de journaliste professionnel relève d'un Comité du titre, représentatif du milieu journalistique, sous l'égide de la FPJQ» et que la carte de presse émise par la FPJQ serve de document officiel pour attester du titre de JP. De plus, le projet précise que le statut professionnel devra être attribué «en vertu des critères utilisés par la FPJQ» et que les décisions du Comité du titre soient sujettes à une révision en appel par un Comité d'appel sous l'égide de la FPJQ. Sur la base de ce projet, les membres ont donc voté à la fois sur le principe même d'un titre professionnel et sur les tenants de ce statut, soit la constitution d'un Comité du titre chapeauté par la FPJQ.

Le journaliste Louis-Gilles Francoeur du Devoir avait dès le départ exprimé son désaccord avec ce vote à deux volets. «Il aurait été beaucoup plus approprié de demander 1) si on est d’accord avec un titre professionnel et 2) si c’est la FPJQ ou le Conseil de presse qui doit émettre le titre de journaliste. Toute ambiguïté aurait été dissipée sur les deux aspects de ce dossier», écrivait-il dans une lettre au président de la fédération. «Je m’excuse de le dire aussi carrément, mais votre approche n’est pas conforme aux règles les plus élémentaires de la consultation. C’est un manque de respect et d’ouverture qui ne vous donnera pas l’heure juste sur ce que pensent les journalistes», poursuivait-il.

Pour avoir l'heure juste, un participant a suggéré en assemblée générale annuelle dimanche que la FPJQ consulte à nouveau ses membres. La proposition n'a pas été soumise au vote, le conseil d'administration a donc la liberté de la retenir ou pas. Néanmoins, les appels à une reprise du dialogue entre le Conseil de presse et la FPJQ semblent avoir fait leur chemin dans les corridors du Château Frontenac. Dimanche, le ton était en effet plus posé entre Guy Amyot et Brian Myles. Réélu par acclamation, ce dernier a déclaré: «je sais à quel point vous tenez au titre, on va rebrasser nos cartes et relancer le ministère».

S'il a abandonné la position attentiste qu'il avait affichée vendredi à l'égard du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Brian Myles ne s'est cependant engagé à rien à l'égard du Conseil de presse. Et pour cause, comme le prévoyait Nathalie Collard dans La Presse en publiant en avril la lettre de Louis-Gilles Francoeur: «un différend fondamental oppose les deux collègues puisqu’en voulant impliquer le Conseil de presse, M. Francoeur reconnaît un certain droit de regard du public dans la définition de ce qu’est un journaliste. Pas certaine qu’il y ait beaucoup de collègues qui seront d’accord avec lui sur ce point.»

Au terme du congrès, sur Twitter, la professeure Colette Brin (membre du comité éditorial de ProjetJ) résumait les tensions: «coalition fragile d'intérêts divergents – tensions entre précaires et permanents, jeunes et vieux, Quebecor et les autres… L'opération statut a exacerbé ces tensions, il faut refaire les liens… gros défi pour Brian Myles et le CA. Après les consultations publiques, il faudrait une commission "vérité et réconciliation" pour le milieu journalistique».

 

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