Par Karine Projean
L’auteure est intervenante auprès des personnes en situation d’itinérance et démunies. Elle a été formée en journalisme et a publié fin 2009 le livre "Histoires à coucher dehors; des itinérants se racontent". Elle réalise l’émission "Les Voix de la Rue", diffusée à Radio Ville-Marie.
Par Karine Projean
L’auteure est intervenante auprès des personnes en situation d’itinérance et démunies. Elle a été formée en journalisme et a publié fin 2009 le livre "Histoires à coucher dehors; des itinérants se racontent". Elle réalise l’émission "Les Voix de la Rue", diffusée à Radio Ville-Marie.
Chaque année, les articles sur l’itinérance abondent aux changements de saison, et particulièrement lors des pics de chaleur ou de froid. L’itinérance est un phénomène qui attire l’attention du public à ces moments, avec l’approche de Noël, alors que le commun des mortels se sent généralement plus généreux, et lorsque les voyageurs des autres provinces arrivent en ville, par exemple. On en parle avec sollicitude, on recueille des fonds, des vêtements, etc. Et les journalistes ne font pas exception à cette règle. Une ligne très mince s’établit alors entre leur côté journaliste et citoyen.
L’itinérance choque, c’est un fait. Mais selon l’article 3d du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ): «Les journalistes doivent départager soigneusement ce qui relève de leur opinion personnelle, de l'analyse et de l'information factuelle afin de ne pas engendrer de confusion dans le public. Les journalistes s'en tiennent avant tout au compte rendu précis des faits. Dans les genres journalistiques comme les éditoriaux, les chroniques et les billets ou dans le journalisme engagé, où l'expression des opinions prend une large place, les journalistes doivent tout autant respecter les faits.»
Pour la majorité des gens, journalistes inclus, l’itinérance est un lieu inconnu, qu’on tente éviter le plus possible. La plupart des gens n’osent pas regarder les personnes en situation d’itinérance dans les yeux, car ils y voient le reflet de ce qu’ils pourraient devenir, ou encore c’est qu’ils ont peur de la différence, de la personne intoxiquée ou en crise.
Le Guide de déontologie précise également que «les journalistes doivent accorder un traitement équitable à toutes les personnes de la société. Les journalistes peuvent faire mention de caractéristiques comme la race, la religion, l'orientation sexuelle, le handicap, etc. lorsqu'elles sont pertinentes. Mais ils doivent en même temps être sensibles à la portée de leurs reportages. Ils doivent éviter les généralisations qui accablent des groupes minoritaires, les propos incendiaires, les allusions non pertinentes à des caractéristiques individuelles, les préjugés et les angles de couverture systématiquement défavorables qui pourraient attiser la discrimination.»
Que la personne soit en situation d’itinérance ne devrait donc pas changer le traitement des journalistes à son égard. Les personnes sans toit sont souvent victimes de généralisation par les médias : on les met tous dans le même panier, ils agissent donc selon eux tous de la même façon. Or, il est important de rappeler que 30 000 personnes sillonnent les rues de la métropole, et que chacune possède un bagage qui lui est propre, une histoire, un vécu, et ses problématiques.
On a vu des articles, dans différents médias, où des journalistes semblaient exaspérés par l’itinérance de leur ville. Il en ressortait un portrait déplaisant de l’itinérance, où les personnes en situation d’itinérance apparaissaient comme des fêtards qui n’avaient aucunement l’intention d’améliorer leur vie. D’autres textes mettaient carrément en danger les personnes évoquées. C’est ce que la journaliste Isabelle Audet a fait avec son texte «Dormir sous un viaduc», paru en novembre 2010, qui a mis au jour un campement dans le bas de la ville et forcé les squatteurs à quitter les lieux.
Certes, le Guide de déontologie de la FPJQ prévoit que «lorsque la personne donne elle-même à sa vie privée un caractère public; lorsque les faits privés se déroulent sur la place publique», cela constitue un droit à l’information. Mais, une personne en situation d’itinérance donne en quelque sorte à sa vie privée un caractère public: elle n’a pas de lieu privé. Tout son quotidien se fait sous les regards de tous. Le droit à l’information est un droit fondamental dans notre société, au même titre que l’est notre vie privée.
Certains chroniqueurs méritent qu’on souligne l’humanité qui traverse leurs textes, notamment Rima Elkouri,qui a parlé de l’incident ayant coûté la vie à Mario Hamel cet été avec beaucoup de délicatesse.
Le droit à l’image
A-t-on moins de droits parce qu’on vit dans la rue?
Le droit à l’image est implicite au droit à la vie privée. Depuis l’affaire Duclos, les photographes sont plus prudents dans la prise de leurs photos et font en sorte que les personnes ne soient pas identifiables, au risque d’être poursuivis. Or, les règles sont troubles dans ce domaine.
Ainsi, la captation de l’image d’une personne dans des lieux publics est permise, mais sa publication est fautive dès qu’elle porte atteinte à la vie privée. Une personne de la rue qui vit en public de par sa condition a-t-elle une vie privée? N’ayant pas de murs où se réfugier le soir venu comme la majorité, sa vie privée est aussi publique.
Une photo accompagnait l’article d’Isabelle Audet mentionné plus haut, qui depuis fait partie des archives du quotidien. L’homme qui y apparaît n’a pas donné son autorisation à la prise de cette photo. Les principes journalistiques soutiennent cependant que la prise de photo dans un lieu public est illicite si le sujet est reconnaissable, et si la personne en est le sujet principal. Ces deux affirmations s’appliquaient pour cette image.
Des plaintes rares malgré tout
Les plaintes envers les journalistes et les entreprises qui les emploient ne pleuvent pas. Une recherche rapide sur le site du Conseil de Presse a révélé qu’une seule plainte avait été faite en 2004, contre le Journal de Montréal et sa journaliste Mélanie Brisson. Déposée par Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), elle reprochait àl’article d’être sensationnaliste et de manquer de respect envers la vie privée et la réputation des prostituées mises en cause. Le Conseil de Presse avait rejeté la plainte du Réseau d’aide. Le RAPSIM a confirmé n’avoir déposé aucune autre plainte depuis, notamment parce qu’il utilise les voies des lettres ouvertes pour rectifier le tir.
Différents médias font un très bon travail et font preuve d’objectivité lorsqu’ils traitent d’itinérance, notamment Le Devoir, le Toronto Star, the Gazette…Et le secret est peut-être là : traiter d’itinérance de façon globale, comme un phénomène de société comme un autre, sans préjugés.
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