Chronologie d’une nouvelle inexacte

La radio de Radio-Canada a diffusé trois textes erronés sur la décision de la Commission des relations du travail du Québec quant au recours à un briseur de grève au Journal de Montréal, en juillet dernier. Dans sa révision d’une plainte anonyme à ce sujet, l’ombudsman Julie Miville-Dechêne fait état en détail du processus qui a mené aux confusions répétées sur la question et à des choix rédactionnels discutables.
 

En substance, on y comprend que d’une part, l’heure de tombée de 18h a primé pour rendre la nouvelle. «Pressé par le temps, le rédacteur ne remarque pas que sa seule source est en fait un communiqué du Syndicat des travailleurs de l’information au Journal de Montréal. (Ce communiqué
induit en erreur en titrant “Briseurs de grève au Journal de Montréal”
alors que la commission n’en reconnaît qu’un.)
Il comprend mal le communiqué, ajoute des informations carrément fausses, et ne cite pas sa source», observe l’ombudsman.

Cette première erreur a été suivie par un appel en règle d’un représentant de Quebecor. Après vérification, le texte fautif est retiré de la circulation. Vers 18h30, la décision intégrale de la Commission* et le communiqué de Quebecor sont envoyés à un cadre des nouvelles radio, en route vers son domicile. En parcourant les documents, il constate que la nouvelle diffusée précédemment est bel et bien inexacte.
 
«À 19h26, ce gestionnaire transmet par courriel la décision intégrale de la Commission des relations du travail au journaliste à l’affectation, sans donner de directives sur la suite des choses. Malheureusement, l’employé a déjà quitté l’immeuble de Radio-Canada, son quart de travail étant terminé. Le pupitre en poste dans la salle et ses deux rédacteurs n’ont donc pas en main la décision du tribunal administratif», enchaîne Mme Miville-Dechêne.
 
On apprend ensuite que la décision prise par consensus dans la salle des nouvelles radio «était de ne plus toucher à la nouvelle et d’attendre le lendemain matin, à moins qu’une agence comme La Presse Canadienne décortique la décision de 16 pages. Le journaliste responsable des affectations craignait que la Radio fasse une autre erreur en ondes en tentant de corriger la première», peut-on lire dans le document de l’ombudsman.
 
En prenant cette décision par contre, il n’y a donc pas eu de correctif immédiat, ce qui semble contraire aux normes et pratiques journalistiques de la SRC qui précisent que « La Société reconnaît et corrige une erreur qu’elle a commise dès qu’elle la constate. (…) » (NPJ, IV. Normes de production B.,10)
 
Il faut dire que le syndicat et la partie patronale ont tous deux applaudi cette décision des relations de travail. Il fallait donc départager les motivations et les réjouissances de l’un et de l’autre.
 
Le lendemain, le dossier a été confié au reporter dont le quart de travail débute à 6h du matin. Ce journaliste a alors en main la décision de la Commission des relations du travail, le communiqué du syndicat et un texte du journal La Presse.
 
Le nouveau texte lu en ondes est le suivant :
«La Commission des relations du travail ordonne au Journal de Montréal de ne plus utiliser de collaborateurs externes ou spécialisés pour faire le travail des journalistes en lock-out depuis plus de six mois. Dans une décision rendue publique hier, la Commission refuse toutefois de se prononcer sur la plus importante plainte du syndicat, soit la mise en place par Quebecor de l’agence QMI, une dizaine de jours avant le début du conflit. Le syndicat affirme que ces changements avaient pour but de faire le travail des journalistes pendant le conflit de travail. Rappelons que la Commission avait blâmé l’an dernier le Journal de Québec pour avoir utilisé des briseurs de grève durant le conflit de travail qui a duré plus d’un an.»
 
Il subsiste encore des inexactitudes. La Commission s’est prononcée sur l’agence QMI en rejetant la plainte du syndicat et elle avait aussi considérée qu’un, et un seul, collaborateur du journal a été considéré comme un briseur de grève par le tribunal administratif.
 
Une autre version sera diffusée au bulletin de 11h17, mais elle n’a pas rectifié complètement les faits, comme l’explique Julie Miville-Dechêne:
 
«Malheureusement, la dernière phrase n’a pas été lue en ondes par manque de temps, car cette nouvelle concluait le bulletin. Voici la phrase manquante : La Commission a toutefois rejeté cette requête, concluant que la preuve ne permet pas de constater d’infractions. Cette phrase était essentielle à la compréhension de la nouvelle. Le texte est trompeur, car l’auditeur est porté à conclure qu’il y avait plusieurs collaborateurs externes, donc plusieurs briseurs de grève pour faire le travail des journalistes en lock-out.

Pourquoi ces erreurs? Le manque de temps, un rédacteur dont l’analyse a été influencée par une décision passée contre le Journal de Québec (en décembre 2008), un manque de connaissance du droit du travail, confusion entre procédure de grief et recours à la Commission des relations du travail, la fin d’un quart de travail.
 
Un bon réflexe demeure malgré tout: avoir cessé de diffuser la nouvelle erronée le soir même.

*En septembre 2009, la Cour supérieure du Québec s’est prononcée sur cette question.