Chronique dune mort radiophonique annoncée mais contestable

Chronique d’une mort radiophonique annoncée mais contestable
Robert Laplante

Le 27 mars denier alors que le soleil laissait poindre ses premiers rayons, la voix de Jacques Fabi, vénérable animateur radiophonique effectuait, après 32 ans de services, son dernier tour de piste. Corus avait décidé quelques mois auparavant que l’émission de nuit devait céder sa place à la rediffusion des matches de hockey, des extraits de Ron Fournier, de Paul Arcand, de Benoit Dutrisac, etc. Des extraits déjà largement rediffusés sur les ondes du 98,FM la semaine et le week-end. Bref Corus a décidé de transformer son univers radiophonique en produisant une programmation réduite à son minimum et en maximisant les rediffusions.

Mais au-delà de la tristesse de ne plus entendre la voix chaleureusement bougonne de Jacques Fabi de son remplaçant André Pelletier et les marottes de leurs auditeurs réguliers, cette disparition sonne le glas d’une radio qui n’en finit plus d’agoniser depuis ce fameux vendredi du 30 septembre 1994 où Radiomutuel et Télémedia fusionnèrent, tuant au passage la majorité des stations AM du Québec.

Média de proximité la radio québécoise a depuis les années 60 offert à ses auditeurs la possibilité de  s’exprimer en ondes sur les grands et les petits débats de notre société, un élément essentiel à la vie démocratique. De Roger Lebel à Paul Arcand, de Lucien Jarraud à Jean Charles Lajoie, de Pierre Maisonneuve à Roger Drolet, la radio québécoise quelques fois géniale, quelques fois pathétique mais toujours diversifiée a su refléter l’ensemble des opinions, des goûts et des préoccupations du Québec.

Corus, après avoir mis la hache dans la salle de presse de CKAC, a transformé la plus vieille radio francophone au monde en véhicule publicitaire pour le Canadien, créé un semblant d’agence de presse. L’information régionale radiophonique a été diluée et voilà que le géant vient de planter le dernier clou dans la radio de proximité. Un concept imparfait et fortement critiquable, mais qui  reste un fondement essentiel de notre bonne santé démocratique, surtout dans cette époque où la pluralité des sources d’informations rétrécit comme peau de chagrin. Hélas, le 27 mars dernier c’est le volet nocturne de cette voix qui a été mise K.O. À quand la mort de la diurne?

Maintenant qui offrira une programmation originale, vivante, intelligente, polémiste, miroir du Québec? – mis à part Radio Canada et les radios communautaires – À moins bien sûr que
le hit parade et les gentilles et inoffensives animations des CKMF, CKOI, CITÉ et des autres stations musicales bouleversent la tranquillité de notre paysage médiatique.

Dans Talk Radio, le film de Oliver Stone, un auditeur assassine l’animateur polémiste Barry Champlain pour le faire taire. Ici on préfère remplacer la parole par la rediffusion d’une partie du Canadien passée date, par un commentaire de Denise Bombardier entendu ad nauseam ou par une sélection musicale milles fois jouée.

C’est inquiétant et suis-je le seul à m’inquiéter?

Robert Laplante est coordonnateur à la salle de presse de Radio Centre-Ville, journaliste pigiste, membre du comité de rédaction du 30, chargé de cours à l’École des Médias de l’UQAM et au Département de communication publique et sociale de l’UQAM