Voir aussi: Radio-Canada: multiplication du nombre de cadres depuis dix ans

Voir aussi: Radio-Canada: multiplication du nombre de cadres depuis dix ans

Le radiodiffuseur public est-il en voie de devenir un diffuseur d'État? C'est ce que craint le Syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC) qui a déposé un grief contre l'imposition d'un nouveau code de conduite aux allures de «serment d'allégeance» au gouvernement, rapporte le quotidien Le Soleil.

Le soleil se couche sur la tour de Radio-Canada à Montréal – Photo Markaud.

Daté du 2 avril, ce nouveau code de conduite, qui modifie celui datant de novembre 2006, assimile les employés de CBC/Radio-Canada à des fonctionnaires fédéraux. À ce titre, «ils exécutent avec loyauté les décisions prises par leurs dirigeants conformément à la loi et aident les ministres à rendre compte au Parlement et à la population canadienne», indique le code.

Ils doivent également «exercer leurs fonctions conformément aux lois, aux politiques et aux directives d’une manière qui est et paraît non partisane et impartiale» et «communiquer aux décideurs l’information, les analyses et les conseils nécessaires en s’efforçant d’être toujours ouverts, francs et impartiaux».

En tenant compte de telles règles, il n'est «vraiment pas certain» que CBC/Radio-Canada aurait pu révéler les dépenses excessives de la ministre conservatrice Bev Oda, à Londres, explique le président du SCRC, Alex Levasseur, au Soleil. «C'est complètement offensant. On ne peut pas accepter d'être à la solde ou de nous asservir au pouvoir politique», dénonce-t-il. Pour le SCRC, ce nouveau code de conduite que tous les employés doivent signer va à l'encontre de la «saine distance» entre le radiodiffuseur public et l'État.

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) appuie le SCRC. «Un diffuseur public n'a pas à aider quelque politicien que ce soit. Il doit au contraire garder en tout temps sa pleine indépendance, indique-t-elle dans un communiqué de presse. C'est ainsi qu'on protégera la crédibilité du diffuseur public et qu'on évitera d'en faire un média d'État au service du gouvernement en place. Il en va de la vitalité de la vie démocratique.»

La professeure Colette Brin de l'Université Laval se porte également à la défense du réseau public. Elle souligne que «l'allégeance d'un journaliste est à la vérité, pas aux dirigeants politiques. Et son public est l'ensemble des citoyens, pas les décideurs». Selon elle, «il y a moyen de réconcilier ce devoir de vérité avec le respect des institutions ce qui inclut d'exposer les cas de conduite inappropriée des dirigeants et autres acteurs institutionnels, au nom même de l'institution». Néanmoins, la formulation de ce code ne lui semble pas aller dans ce sens.

Un code contraire à la Loi sur la radiodiffusion

Pour le professeur Pierre Trudel, titulaire du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, «c'est une dangereuse absurdité de considérer les employés de la SRC comme des fonctionnaires de l'État et les assujettir aux mêmes obligations. C'est contraire à la liberté de presse et aux dispositions de la Loi sur la radiodiffusion».

Cette loi stipule en effet que «toute interprétation ou application de la présente partie (NDLR: la Société Radio-Canada) doit contribuer à promouvoir et à valoriser la liberté d’expression, ainsi que l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouit la Société dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs». Elle indique également que «les membres du personnel [NDLR: de Radio-Canada] ne sont ni des fonctionnaires ni des préposés de Sa Majesté».

Le nouveau code de conduite indiquant s'appliquer «sous réserve de la Loi sur la radiodiffusion», il ne serait donc pas applicable. Selon Colette Brin, cette loi «devrait en principe offrir une protection contre l'interprétation abusive du code de conduite». Elle estime toutefois que le libellé du nouveau règlement «ressemble à une provocation». Pour Pierre Trudel, il fallait s'y attendre. «À force de confondre "radiodiffuseur public" et "diffuseur d'État", on se retrouve avec ce genre de mesures ayant toutes les apparences liberticides.»

«Le milieu de l'information a énormément de mal à prendre fait et cause pour l'indépendance du diffuseur public, explique-t-il. «Encore récemment, de grands journalistes se moquaient de la position de Radio-Canada à l'égard de son assujettissement à la Loi sur l'accès à l'information. Plusieurs soutenaient les yeux fermés et l'esprit en pleine anesthésie qu'il n'y a aucun problème à assujettir la SRC aux obligations de la Loi sur l'accès aux documents et la forcer à répondre aux demandes de documents sur son activité journalistique. D'autres déclaraient que les coupures de 10% à la SRC, c'est correct puisque "tous les ministères y passent".»

La direction du réseau public n'a pour sa part fourni aucune explication. «Quand on reçoit un grief comme ceux-là, on les analyse et on ne fait pas de commentaire», a indiqué au Soleil le porte-parole du réseau, Marco Dubé. Les parties patronale et syndicale doivent se rencontrer jeudi pour discuter de la gestion des compressions budgétaires à Radio-Canada. Les syndicats estiment que les coupures imposées par le gouvernement conservateur sont purement idéologiques et contraires à l'intérêt public, et dénoncent la manière dont elles sont appliquées.