Assemblée Nationale, la liberté de presse bafouée?

Les membres de la Tribune de la Presse de l’Assemblée nationale ont décidé, par votation, qu’ils n’accorderont pas de nouvelles accréditations à des journalistes travaillant pour un groupe de presse aux prises avec un conflit de travail et ce, tant que celui-ci ne sera pas terminé.

Pour Florian Sauvageau, directeur du Centre d’étude sur les médias, «l’enjeu de fond est juridique, mais il y a aussi un
enjeu politique, car nous sommes dans un contexte de conflit de
relation de travail. Il y a deux principes qui s’affrontent, le premier
étant la non-intervention dans le conflit de travail par solidarité et
l’autre principe est l’accès à l’information aux journalistes.»

La décision de la Tribune est la résultante d’une assemblée générale d’urgence, à la demande de laissez-passer pour deux employés du Journal de Québec. Donald Charette, cadre au journal, ainsi que Karine Gagnon, journaliste, se sont donc vu refuser l’accès à la Tribune. Ces accréditations devaient concrétiser le projet de Quebecor vient d’ouvrir un bureau de politique pour alimenter son agence de presse, QMI et les textes des deux employés du Journal de Québec serviraient à nourrir toutes les publications du groupe pancanadien. Entre autres, dans le Journal de Montréal en lock-out depuis janvier 2009.

Pierre-Karl Péladeau, président et chef de la direction de Quebecor, croit que cette décision va à l’encontre du droit au public à l’information. La Tribune, quant à elle, se défend plutôt de rester neutre face au conflit de travail.

Pour les journalistes, membres de la Tribune, accréditer les deux employés du Journal de Québec serait une forme d’intervention dans le conflit. Les textes de ces journalistes, en se retrouvant dans l’Agence QMI, seront à la disposition du Journal de Montréal. Quebecor aurait plus d’outils pour continuer à publier son quotidien en lock-out. En d’autres termes, accepter l’accréditation des travailleurs du Journal de Québec signifierait une prise de position indirecte.

De son côté, le syndicat du Journal de Québec se réjouit de la décision des membres de la Tribune de presse. Dans un contexte sans conflit, l’ouverture d’un bureau politique à Québec serait en effet une bonne nouvelle pour les journalistes du journal. Avec le lock-out, la création du bureau servirait à fournir l’Agence QMI et aurait pour effet de remplacer les journalistes en conflit de travail.  Afin de contourner la réglementation de la Tribune, Quebecor utilise par ailleurs les accréditations temporaires. Ces laissez-passer sont valides pour vingt-quatre heures et peuvent être délivrés tous les jours. Karine Gagnon ainsi que deux autres journalistes du Journal de Québec ont utilisé ce stratagème pour avoir accès à la Tribune de Presse.

Ainsi, le conflit de travail au Journal de Montréal empêche deux journalistes d’avoir accès à la Tribune et brime leurs droits à l’accès à l’information. La liberté de presse est un droit fondamental cité dans la constitution canadienne au même titre que la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression.

« Ce n’est certes pas respecter l’esprit des lois et de la démocratie que de refuser à des journalistes, au nom de la neutralité, des droits égaux à ceux de leurs confrères, » a indiqué Pierre-Karl Péladeau dans une lettre ouverte. Il base son argumentation sur le fait que les journalistes en lock-out du Journal de Montréal continuent d’avoir accès à la Tribune même s’ils écrivent pour Rue Frontenac. Ce media étant un moyen de pression syndical, il serait juste de leur accorder le même traitement.

Toujours selon Quebecor, l’ouverture du bureau à la Tribune de Québec n’est, en aucun cas, en lien avec le lock-out. C’est plutôt une décision administrative et stratégique. C’est pour cette raison que l’entreprise a fait le choix de résilier son abonnement à La Presse Canadienne. L’entente lie Quebecor à l’agence de presse jusqu’au 30 juin 2010.

Le non-interventionniste dans un conflit de travail est-il plus important que le principe d’accès à l’information des journalistes? « Sans vouloir accabler les membres de la Tribune de la presse, je crois que le principe d’accès à l’information est plus important, » répond M. Sauvageau. De plus, le litige entre les deux parties pourrait être l’occasion de revoir le système d’accréditation. À l’ère d’Internet, l’information politique est partout et facilement accessible. Il est aussi facile de contourner le règlement.