Au
terme d’un forum sur les médias citoyens, l’Institut du Nouveau Monde (INM) a amorcé un partenariat avec les plates-formes Parole
citoyenne et son pendant anglophone CitizenShift.
Michel
Venne, directeur de l’Institut du Nouveau Monde, a œuvré comme
journaliste,
éditorialiste et chroniqueur au journal Le Devoir. Dans une entrevue
réalisée conjointement pour Le Trente et ProjetJ, il livre ses
réflexions sur les médias citoyens.
Avec de plus en plus de joueurs
revendiquant la capacité de faire et de produire de l’information via
des sites identifiés comme des «médias citoyens» qu’en est-il
maintenant du rôle des journalistes?
Je
demeure un consommateur de médias et par le fait même du travail
journalistique. Les professionnels de l’information, ce sont les
journalistes. Comme simple citoyen, je suis incapable d’avoir
toute l’information disponible sur un sujet. Je n’ai pas le temps non
plus de faire le tour de toutes les sources pour en tirer des éléments
de synthèse. J’ai donc besoin des journalistes pour faire ça pour moi.
Je
crois donc que les médias qui restent fidèles à cette fonction de
témoigner de ce qui se passe et d’expliquer ce qui se produit dans la
société continueront d’avoir un avenir. Fondamentalement, le
journalisme est encore essentiel à la démocratie.
Si
les journalistes demeurent essentiels, doit-on percevoir les
«journalistes citoyens» comme une compétition pour le journalisme
traditionnel?
Ce que j’entends par journalisme de
tradition, ce sont des professionnels et je crois qu’il devrait y avoir
un encadrement juridique pour cette profession – même si je suis
minoritaire au Québec à le penser. Cela étant dit, il est vrai qu’il
s’est développé une nouvelle façon de faire et partager l’information,
ce que l’on appelle les médias citoyens. Je ne suis pas convaincu
toutefois que le terme «journalisme» devrait être utilisé pour parler
de ces contributions citoyennes. Elles s’apparentent davantage aux
pages Idées ou Forum de nos grands quotidiens ou de nos tribunes
téléphoniques. Bien que dans certains cas, il est vrai que des
documents de qualité sont ainsi fournis par de simples citoyens.
Je
crois que c’est un phénomène inévitable qui connaîtra une croissance,
mais je considère qu’il serait dangereux d’associer ces initiatives à
du journalisme. Je n’en pense pas moins que cette façon de faire va
demeurer, pour plusieurs, une manière de s’informer et de participer à
la circulation de l’information.
Outre
la question du phénomène, peut-on voir ce développement comme un
passage nécessaire pour amener les gens à reprendre leur place dans le
débat public?
En fait, dans certains pays où se vivent
des crises politiques et là où les médias traditionnels sont censurés,
des pays totalitaires par exemple, les seules sources d’informations
accessibles sont ces sources citoyennes disponibles sur des réseaux
numériques, Internet ou autres. Malgré tout, il ne faut pas perdre de
vue, qu’il s’agit d’une information qui n’est pas soumise aux règles
éthiques auxquelles le journaliste, lui, doit se conformer.
Donc c’est un phénomène qui est une contribution, mais qui n’est pas la même chose que du journalisme.
En somme, nous pourrions le voir comme une sorte de complément. Est-ce possible d’envisager une collaboration saine?
Ça
peut servir à plusieurs choses. D’une part, ça peut permettre de faire
émerger des informations qu’il n’est pas facile de trouver, et
qu’ensuite, les journalistes peuvent reprendre dans les médias
traditionnels, après les avoir vérifiées. Ces informations peuvent
aussi servir à mettre en exergue des thèmes, des problèmes ou des
innovations auxquels les journalistes ne s’intéressent pas. Il y a des
réalités dans des sociétés et des régions dont on ne parle pas, mais
qui intéressent beaucoup de gens. Ces médias citoyens peuvent devenir
des palliatifs, et d’une certaine manière, des révélateurs de réalités
dont pourront s’emparer les journalistes.
Et vous être convaincu qu’il y aura un accroissement de cette tendance?
Nous
vivons dans une société de communication. Les gens veulent s’exprimer
et ont la possibilité de le faire à faible coût. Par ailleurs,
lorsqu’ils souhaitent comprendre un phénomène, ils ne se fient plus aux
hommes politiques, aux experts de tous acabits et parfois même plus aux
journalistes, mais bien à des personnes qu’ils connaissent. C’est ce
qui explique le succès des réseaux sociaux comme Facebook et autres du
même genre. L’information réussit à atteindre un public plus large
parce que les messages, commentés, sont réexpédiés.
Cela dit,
les journalistes ne sont pas forcément exclus, puisque que ceux qui
véhiculent ces informations l’ont tout de même prise quelque part et
c’est en ce sens là que je disais qu’on a encore besoin de journalistes
professionnels pour faire le tri.
Mais est-ce que le public peut départager ce qui est une information vérifiée et validée?
Vous
savez, nous vivons un drôle de paradoxe. La société québécoise est
parmi les plus scolarisées du monde, donc il y a une partie de la
population qui, plus que jamais, est capable de faire cette
distinction. En même temps, de 30 à 40 pour cent des gens sont
analphabètes et ont de la misère à lire et écrire des choses simples.
Ces personnes ne sont pas en mesure de faire le tri entre une
information vérifiée, de la rumeur et des insignifiances. Une partie de
la population est donc démunie.
C’est une des raisons pour
lesquelles il faut préserver, dans l’univers médiatique, des médias
d’information qui continuent de respecter des règles d’éthique, et même
soumis à des lois si nécessaire. C’est pourquoi le statut de
journaliste professionnel doit être reconnu, pour faire cette
différence, et afin qu’en écoutant un certain type de chaînes ou
certains journaux, le public aura l’assurance d’un contenu vérifié et
fait par des journalistes qui respectent leur déontologie.
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