Note de lecture de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l'Université d'Ottawa

Carolane Gratton, étudiante à la maîtrise en communication à l'Université d'Ottawa

Les blogues jouent un rôle de plus en plus populaire de surveillance des médias. C’est cette nouvelle situation qu’ont voulut étudier les professeurs Tim P. Vos et Stephanie Craft, de la Missouri School of Journalism, ainsi que le professeur Seth Ashley de Boise State University aux États-Unis.

 

Note de lecture de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l'Université d'Ottawa

Carolane Gratton, étudiante à la maîtrise en communication à l'Université d'Ottawa

Les blogues jouent un rôle de plus en plus populaire de surveillance des médias. C’est cette nouvelle situation qu’ont voulut étudier les professeurs Tim P. Vos et Stephanie Craft, de la Missouri School of Journalism, ainsi que le professeur Seth Ashley de Boise State University aux États-Unis.

Les chercheurs ont tout d’abord basé leur étude sur la théorie des champs de Bourdieu.

Dans celle-ci, le champ journalistique est un espace social structuré dans lequel se retrouvent de nombreux agents (journalistes, gestionnaires, recherchistes, propriétaires, etc.). Ceux-ci, en constante interaction, ont pour but de maintenir ou de transformer l’état actuel du champ. De plus, celui-ci est soumis à la pression d’acteurs externes (principalement du champ économique et politique) qui peuvent à leur tour l’affecter.

Les auteurs expliquent qu’avec l’avènement d’Internet, de nouveaux agents sont apparus dans les champs journalistique, économique et politique. Les blogueurs, par exemple, font partie du champ journalistique. Parmi ces blogueurs se trouvent ceux traitant de sujets politiques. Les chercheurs ont voulu se concentrer sur cette catégorie de blogueurs qui se trouvent dans une position spéciale. Bien qu’ils soient dans le champ journalistique, ils sont moins soumis aux pressions économiques et sont plus près du champ politique que les agents traditionnels (journalistes, gestionnaires, recherchistes, propriétaires, etc.).

Les chercheurs se penchent sur leurs critiques des médias traditionnels afin de déterminer si elles sont de nature à transformer ou à conserver l’état actuel du champ journalistique.

Pour ce faire, ils ont sélectionné les 20 blogues politiques indépendants les plus populaires aux États-Unis. Ensuite, ils en ont gardé dix avec une proportion équivalente  de blogues d’orientation de droite et de gauche ainsi que quelques blogues neutres. Ils ont finalement analysé 282 textes qui évoquaient le travail journalistique.

Les résultats indiquent que la majorité des critiques retrouvées favorisait la conservation du champ journalistique traditionnel et non sa transformation. Les reproches touchaient principalement des questions telles que le manque d’objectivité et prônaient le professionnalisme journalistique, tout en dénonçant la présence trop marquée du sensationnalisme. Les auteurs ont aussi été surpris de découvrir que les critiques de nature économique étaient parmi les moins fréquentes.

Il est notable de constater que les reproches restent similaires, peu importe l’orientation politique du blogueur. Les chercheurs ont aussi observé que les blogueurs cherchent à se distinguer ou à se démarquer des médias « traditionnels » et de « la grande presse ». Selon eux, les blogueurs pourraient agir ainsi pour deux raisons. La première serait qu’ils se sentent exclus, malgré eux, de ce champ, et la seconde serait qu’au contraire ils souhaitent volontairement s’en dissocier. Dans les deux cas, les blogueurs se considèrent comme une force autonome et indépendante des journalistes.

Les critiques sur les médias que l’on retrouve dans les blogues politiques varient en importance. Elles se limitent parfois à une simple mention, mais elles peuvent aussi être le sujet principal d’un article. Dans le second cas, il est généralement question de manquement face aux normes d’objectivité, d’impartialité et de vérité. Plusieurs blogueurs ont même manifesté leur opposition à l’accréditation de « journaux » uniquement en ligne à la Maison-Blanche, car ceux-ci ne seraient pas soumis aux mêmes standards éthiques que les médias traditionnels.

Les blogueurs interviennent donc majoritairement dans le but de défendre et de légitimer l’état actuel du champ journalistique.

Il leur arrive quand même, parfois, de le remettre en question. C’est le cas lorsqu’ils se penchent sur la structure des médias et de leur trop grande dépendance aux pressions économiques. De plus, certains vont jusqu’à remettre des normes éthiques en question. Ils considèrent que l’objectivité et la justice peuvent s’opposer et créer de « fausses justices » et des distorsions de la réalité. Ce serait le cas, par exemple, lorsqu’un journaliste, qui se veut objectif, présente plusieurs points de vue comme équivalant alors qu’en réalité certains seraient injustes ou faux.

Les chercheurs en concluent donc que les blogueurs politiques, malgré leur réticence à s’y identifier, font quand même partie du champ journalistique et qu’ils en favorisent une certaine stabilité.

Par contre, les auteurs abordent la possibilité qu’à force de prendre de l’importance, ces blogueurs puissent finir par transiger vers le champ politique. Ils seraient alors en mesure de créer des pressions extérieures au champ journalistique afin de tenter de le transformer.

Néanmoins, cette transition serait lente et plusieurs recherches seront nécessaires pour confirmer la position réelle de ces blogueurs politiques par rapport au champ journalistique. Il sera intéressant, entre autres, de chercher à savoir s’ils considèrent leur travail comme soumis aux mêmes normes éthiques que les médias ou si, au contraire, ils le rattachent plutôt au domaine politique.

Dans tous les cas, les normes journalistiques traditionnelles ne semblent pas être en danger.

*Source: Vos P. Tim, Craft Stephanie et Ashley Seth. (2012) « New media, old criticism: Bloggers’ press criticism and the journalistic field » Journalism, 13(7) 850–868.