Note de lecture de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l'Université d'Ottawa
Carolane Gratton, étudiante à la maîtrise en communication à l'Université d'Ottawa et Marc-François Bernier, Ph. D., Professeur et titulaire de la CREJ
L’éthique des journalistes serait influencée par l'entreprise de presse pour laquelle ils travaillent tout comme par la société dans laquelle ils évoluent.
Note de lecture de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l'Université d'Ottawa
Carolane Gratton, étudiante à la maîtrise en communication à l'Université d'Ottawa et Marc-François Bernier, Ph. D., Professeur et titulaire de la CREJ
L’éthique des journalistes serait influencée par l'entreprise de presse pour laquelle ils travaillent tout comme par la société dans laquelle ils évoluent.
Telles sont les conclusions d’une récente étude dirigée par Patrick Lee Plaisance, de l’Université de Syracuse. Intéressé par la philosophie et l’éthique journalistique, il est aussi l'auteur du livre Media Ethics: Key principles for Responsible Practice, publié en 2009. Pour la présente recherche, Plaisance s’est associé à deux autres chercheurs spécialisés en médias et journalisme, Élizabeth A. Skewes et Thomas Hanitzsch (PhD).
Leur recherche comparative s'intéresse à la conception de l'éthique de journalistes œuvrant dans 18 pays, dont les programmes de formations au journalisme ainsi que les contextes politiques et culturels diffèrent. Les chercheurs ont voulu vérifier diverses hypothèses, dont celle voulant que l’orientation éthique du journaliste varie de façon significative selon leur entreprise de presse et leur pays d’appartenance.
Les auteurs ont étudié l’orientation éthique des journalistes en utilisant des questions en lien avec deux modes de raisonnement; l’idéalisme et le relativisme. L'idéalisme réfère à des obligations morales non modifiables et impératives qui seraient extérieures au journaliste. Il serait associé à l'influence professionnelle, l'éducation, l'expérience et l'adhésion à un syndicat. Quant au relativisme, il considère que le journaliste va adapter ses normes selon les situations, au cas par cas en somme. Il serait associé à divers facteurs : autonomie professionnelle, les influences ou impératifs économiques (rentabilité de l'entreprise) ainsi que le temps consacré à recueillir l’information (productivité).
Les chercheurs ont voulu mesurer l'influence organisationnelle sur l'orientation éthique des journalistes de leur corpus, tout en tenant compte de leur pays d’origine.
Parmi leurs hypothèses de travail, il y avait celle voulant que la concurrence et l'appartenance à une entreprise de presse privée favorisent le relativisme, et celle voulant que l’existence d’un code de déontologie au sein du média favorise l’idéalisme.
De même, ils ont voulu vérifier l'influence de l'écosystème médiatique de différentes sociétés en tenant compte, notamment, du niveau de la liberté de presse, de la formation des journalistes et de l'état de l'économie. La liberté de presse, le professionnalisme (niveau scolaire en journalisme) et le développement économique sont des variables supposées favorables au relativisme. Plus elles sont présentes, plus le relativisme serait favorisé.
Pour les besoins de la recherche, une vingtaine de journaux par pays ont été sélectionnés aléatoirement, tout en faisant attention à ce que chaque pays ait une proportion similaire de catégories de journal (à potin, populaire, élitiste, partisan, etc.). Le corpus est constitué de 100 journalistes de différents niveaux (pigistes, chroniqueur, et.) qui ont répondu à un questionnaire, par téléphone ou en personne, entre octobre 2007 et avril 2009.
L’analyse des données a confirmé que l’orientation éthique des journalistes varie selon l’organe de presse. De plus, la variation de l’orientation éthique est plus marquée entre les pays qu’entre les entreprises de presse.
Une autre hypothèse, cette fois sur le contexte organisationnel, a été partiellement validée. Elle stipulait que le relativisme est favorisé par l’autonomie professionnelle, les influences ou les impératifs économiques (rentabilité de l'entreprise) ainsi que le temps consacré à recueillir l’information (productivité). Quant à l'idéalisme, il serait avantagé par les influences professionnelles, l’éducation, l’expérience, et l’adhésion à un syndicat. Les résultats ont démontré que la productivité, l’autonomie et les influences économiques sont bel et bien favorables au relativisme. Les autres facteurs n’ont pas eu d’influences significatives.
La dernière hypothèse à être partiellement validée, quant à elle, porte sur les systèmes médiatiques et suppose que le relativisme est négativement relié à la liberté de presse, le professionnalisme et le développement économique. Les résultats ont démontré qu’en effet, plus la liberté de presse et le niveau d’éducation journalistique sont élevés, moins les journalistes possèdent une orientation éthique relativiste. Quant au développement économique, il s’est avéré sans influence.
Bien que ses résultats ne puissent être généralisés à tous les pays et toutes les sociétés, cette recherche reste pertinente au domaine de l’éthique journalistique. Elle apporte de nouveaux arguments à la défense de la théorie des influences hiérarchiques pour l’étude de l’orientation éthique des journalistes. Cette théorie identifie cinq paliers d’influences qui affectent la prise de décision des journalistes. On y retrouve le palier individuel (croyance personnelle, formation, etc.), le palier des routines (comment une même situation est traitée habituellement, etc.), le palier organisationnel (code de déontologie, etc.), le palier des forces hors médias (audience, marché économique, etc.) et finalement le palier idéologique (les valeurs majoritaires de la société d’appartenance).
Cette recherche a apporté de nouvelles données sur deux de ces cinq niveaux, à savoir les niveaux individuel et organisationnel. De plus, cette étude apporte une contribution intéressante au débat entourant la viabilité et la légitimité de la création de règles déontologiques universelles pour les organismes de presse.
Un débat qui, semble-t-il, est loin d’être terminé, mais que la mondialisation de la communication et de ses impacts alimente régulièrement.
Source: Plaisance, P., Skewes, E., & Hanitzsch, T. (2012). « Ethical orientations of journalists around the globe: Implications from a cross-national survey », Communication Research, 39(5), p. 641-661.
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