Par Marc-François Bernier (Ph. D.), professeur titulaire au Département de communication et titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme à l’Université d’Ottawa

Par Marc-François Bernier (Ph. D.), professeur titulaire au Département de communication et titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme à l’Université d’Ottawa

L’arrivée de Pierre-Karl Péladeau sur la scène politique soulève deux enjeux éthiques majeurs. Le premier est lié à son éventuel statut de parlementaire membre d’un parti gouvernemental où il pourrait, directement ou indirectement, participer à des discussions et décisions favorisant ses propres intérêts. Ce volet parlementaire sera pris en charge par le Commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale du Québec.

Le second volet concerne l’indépendance des salles de nouvelles de l’empire de presse qu’est Québecor Media, avec ses quotidiens, son réseau de télévision, ses chroniqueurs, l’agence de nouvelles QMI, les magazines, etc. Ce volet de l’indépendance journalistique est des plus importants en démocratie.

Même s’il a démissionné de toutes ses fonctions liées à Québecor Media, Pierre-Karl Péladeau laisse derrière lui une équipe de fidèles gestionnaires. Par ailleurs, il est fort probable que M. Péladeau revienne aux commandes de Québecor au terme de son aventure politique. Bref, rien ne garantit les conditions nécessaires à l’exercice d’un journalisme libre et indépendant de la part de ceux et celles qui pourraient être sanctionnés dans un avenir plus ou moins lointain, en raison d’une éventuelle déviance à une ligne éditoriale douteuse.

Par ailleurs, il faut accorder peu de crédibilité aux dénégations de circonstance, répétées ces derniers jours, à l’effet que la direction de Québecor n’intervient pas dans les salles de rédaction. Au contraire, la recherche scientifique, des déclarations publiques d’ex-journalistes ainsi que des reportages médiatiques constituent une démonstration irréfutable de la tradition d’intervention de la haute direction dans les salles de nouvelles.

C’est mépriser le public québécois, et chercher à le tromper, que de tenter de lui faire croire que la formidable promotion des produits de Québécor (Star Académie, La Voix, Le Banquier, etc.) dans les médias de Québecor serait uniquement due à des décisions indépendantes, libres et spontanées dans tous les médias de ce vaste conglomérat.

C’est aussi mépriser le public que de laisser croire que la couverture journalistique (ou promotionnelle) impressionnante et constante, qui a entouré toutes les activités publiques de Pierre-Karl Péladeau ces dernières années, est elle aussi le résultat de décisions individuelles, libres et spontanées de la part de cadres de l’information des quotidiens, hebdomadaires, magazines ou du réseau TVA. Cette couverture complaisante, ce journalisme de promotion si on peut le nommer ainsi, a permis à M. Péladeau de jouir d’une notoriété et popularité immenses qu’il vient de mettre au service d’une carrière politique qui pourrait être déterminante pour l’avenir du Québec. Ce n’est pas rien…

Audace et innovation

Plusieurs exigent que Pierre-Karl Péladeau vende toutes ses actions dans Québecor Media ou renonce à sa carrière politique, sans trop nous dire s’ils souhaitent protéger le droit du public à l’information ou leur propre carrière politique en attaquant un adversaire. S’il s’agit de protéger le droit du public à l’information, essentiel à une saine vie démocratique, il existe des options moins radicales que la vente des actifs de Québecor Media. Mais cela exige du courage et de l’innovation à la hauteur des enjeux démocratiques.

Ainsi, on peut assurer l’indépendance des salles de rédaction, principe fondamental en journalisme, en se soumettant à deux autres principes incontournables de l’éthique du journalisme, soit l’imputabilité et la transparence.

Au niveau de l’imputabilité, Québecor doit réintégrer sans condition les conseils de presse désertés ces dernières années, au Québec comme dans les autres provinces canadiennes. Certes, les conseils de presse sont des dispositifs dont l’efficacité réelle est plus que limitée, et il serait sans doute pertinent, au Québec, d’avoir un organisme avec de réels pouvoirs de sanction, mais il faut pour l’instant se contenter de ce qui existe.

De plus, Québecor doit se doter d’un ombudsman absolument libre et indépendant, qui aurait le double mandat d’enquêter sur les plaintes en provenance du public et celles en provenance des salles de rédaction. Les journalistes pourraient ainsi dénoncer de façon anonyme les interventions injustifiées dont ils seraient les victimes, l’ombudsman aurait un devoir d’enquête à laquelle tous devraient collaborer, syndiqués comme cadres.

Au niveau de la transparence, les médias de Québecor s’engageraient à diffuser toute décision des conseils de presse les concernant. De même, l’ombudsman aurait l’obligation de publier un bilan annuel de ses enquêtes et conclusions, lesquelles auraient été diffusées au fur et à mesure pendant l’année.

Compte tenu des fonctions parlementaires auxquelles pourrait accéder Pierre-Karl Péladeau, et compte tenu des antécédents de Québecor Media sur le plan des interventions dans l’information, on peut difficilement se contenter de moins que cette solution. Elle serait similaire pour tout autre patron de presse voulant se présenter en politique à l’avenir.

La proposition mise de l’avant ici repose sur le même principe que j’ai déjà formulé dans différents mémoires et interventions publiques. Plus il y a de concentration et de convergence des médias dans une société, plus il y a obligation d’imputabilité. Malheureusement, les parlementaires ont toujours évités de prendre leurs responsabilités en cette matière, craignant déjà le pouvoir de sanction des médias québécois.

Ce qu’on voit depuis dimanche, c’est une classe politique paniquée qui refuse de reconnaître qu’elle est la première responsable de la situation, en ayant encouragé la création de conglomérats médiatiques sans exiger de leur part des garanties d’indépendance et d’imputabilité.

Cela a fait du Québec une des sociétés occidentales où la concentration de la propriété des médias d’information est la plus élevée, rien de moins. Il y a dans les dénonciations partisanes du PLQ comme de la CAQ une autre tentative de masquer leur turpitude et leur immobilisme, comme l’a fait le PQ qui en subit aujourd’hui les conséquences.

Cela discrédite passablement une indignation qui est des plus sélectives, et rabaisse au niveau partisan un enjeu démocratique majeur au Québec: le droit du public à une information de qualité, diversifiée et intègre.

Finalement, compte tenu de la situation particulière du Québec, il y a aussi lieu de créer un Observatoire des pratiques journalistiques, absolument indépendant des médias pour ce qui est de son financement et de ses orientations. Il faudra y revenir…

Marc-François Bernier est également membre du comité éditorial de ProjetJ.

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