La parole ne suffit plus aux journalistes. Ils veulent désormais passer à l’action et le journalisme d’investigation a repris du galon. En devenant des redresseurs de torts, les entreprises médiatiques ont adopté une nouvelle posture, et découvert une mine d’or à exploiter. On peut se demander si la qualité de l’information n’est pas compromise par cette récupération commerciale, et si le journalisme d’investigation ne serait pas, plutôt, une manière de se donner une crédibilité et une affaire de « gros sous » plutôt qu’une initiative pour servir l’intérêt public. Certains reprochent d’ailleurs que des faits d’actualité se retrouvent ignorés pour laisser la place à des enquêtes.

Intérêt public ou financier?

Dans un contexte d’hyperconcurrence, les médias ont recours aux «armes de destruction massive» que sont les enquêtes journalistiques. Les deux belligérants de l’information télévisuelle, TVA et Radio-Canada, ont chacun leurs émissions d’enquête (J.E., Enquête) qui «cartonnent». Les journaux font de même en confiant à leurs journalistes des missions où ils utilisent micros et caméras cachés, déguisements, etc.

L’intérêt public de ces enquêtes est toutefois remis en question. Selon le Conseil de presse du Québec, «la notion d’intérêt public en information s’étend à tout ce qui est nécessaire au citoyen pour qu’il participe pleinement à la vie en société». Or, qu’est-ce qui est nécessaire? Si certains ont vu dans le reportage d’Alain Gravel sur Geneviève Jeanson une démonstration de «grand journalisme», d’autres y ont vu une exploitation indue des sentiments de l’athlète pour mousser les cotes d’écoute.

L’ancien ombudsman de Radio Canada, Renaud Gilbert, dans une entrevue au Journal de Montréal en octobre 2007, a dénoncé la mise en marché des reportages d’Enquête sur Jeanson dans les journaux: «On y voit une photo de Geneviève Jeanson à moitié glissée dans une enveloppe brune portant l’inscription confidentiel, avec une longue seringue faisant référence à l’EPO, substance qu’elle a avoué avoir consommée.» Selon l’ex-ombudsman, ce ne sont pas les sujets qui causent problème, mais plutôt la manière sensationnaliste de les présenter. (http://www.canoe.com/divertissement/telemedias/nouvelles/2007/10/01/4540812-jdm.html)


La course aux primeurs

Dans Heurs et malheurs du journalisme d’investigation en France (2001), le sociologue Cyril Lemieux avance que la course aux primeurs donne lieu à de véritables chasses aux sorcières. «La vie démocratique est assurée, sans qu’il soit nécessaire que le journaliste joue les justiciers et jette son propre poids dans la défense des conflits sociaux.» Il dénonce par ailleurs cette envie qu’ont plusieurs de jouer les fiers-à-bras et de pratiquer une forme de journalisme dans le seul but de condamner les fautifs. «Il est ainsi devenu de plus en plus intéressant économiquement d’adopter un style agressif et de prétendre briser les tabous de la société.»

Le scandale des commandites

Un exemple de journalisme d’enquête où l’intérêt public prime sur la logique commerciale d’une entreprise est sans doute l’investigation menée par Daniel Leblanc sur ce qui est devenu le scandale des commandites. Avec l’aide de son collègue Campbell Clark et d’une informatrice du nom de «Ma chouette», Daniel Leblanc a dévoilé au grand jour les nombreux actes frauduleux commis par le Parti Libéral du Canada dans le but de redorer l’image du pays partout au Québec. Évoquant des dépenses de plus de 300 millions de dollars aux frais des contribuables, le scandale aura eu pour effet de ternir l’image du PLC qui, encore aujourd’hui, ne semble pas avoir regagné la confiance et le vote des Québécois. (http://politicomqc.blogspot.com/2007/08/le-livre-du-scandale-des-commandites.html)

De la dérive aux alternatives

Jusqu’où iront les journalistes de demain pour «impressionner» les gens? Et si on greffe à cette réflexion les compressions économiques actuelles, il y a lieu de se demander si les médias conventionnels vont supporter longtemps le journalisme d’investigation.

Des agences de presse spécialisées comme XXI en France, ou ProPublica aux États-Unis, proposent des alternatives. ProPublica est entièrement financée par le mécénat et diffuse son contenu sur Internet. L’avenir du journalisme d’enquête réside peut-être dans de telles organisations indépendantes d’esprit et de fortune dont le dernier souci est d’empocher les dollars. À suivre…